Morbide

Morbide– huile sur toile – 65 x 54 cm

On trouve sur internet nombre photos de cadavres, hommes, femmes ou enfants mutilés. Si vous précisez la recherche, les années, les conflits sont nommés et ont laissé des traces photographiques. Si j’affine la recherche aux images de la guerre d’Algérie, je réduis le nombre d’images… et les clichés sont en noir et blanc, ce qui apaise un peu la nausée. Si je remonte à la source, –  qui a posté ces images ? – chaque camps exhibe ses victimes.  Si l’on en croit le texte,  l’image serait une preuve des exactions de l’ennemi. Il apparaît – et ça ne fait aucun doute – que chacun compte ses morts horribles et que le nombre fera grossir l’horreur. Qu’est-ce qu’un mort face à une famille massacrée, un famille face à un village, un village face à un millier, un millier face à un million… ? Mais je ne sais si ce que je vois, la trace de corps torturés, égorgés, émasculés, violés, défigurés, amputés (voilà comme la mort à trouvé ses corps) étaye telle ou telle idée politique. J’ai téléchargé des photos, j’ai pioché de chaque côté (FLN, MNA, Harkis, Colons, militaires, civils… je ne sais plus, femmes, enfants, hommes…  Les noirs des photos sont profonds dans les plaies, les chairs sont grises et pales.

Le 26 janvier 1957. A quelques minutes d’intervalle, deux charges explosent au bar de l’Otomatic puis au café du Coq Hardi en plein centre d’Alger. Bilan : 5 morts et 60 blessés.
Deux musulmans sont lynchés par une foule européenne exaspérée.
8000 paras se trouvent investis d’une mission militaire sous les ordres du général Massu.

Le livre La question de Henri Alleg paraît en 1957, L’affaire Audin de Vidal-Naquet en 1958, la Gangrène (sans nom d’auteurs) en 1959. Ces livres dénoncent la torture pratiquée par l’armée française sur les combattant Algérien. Censure.
Le 14 novembre 1957 Mauriac dans un texte intitulé « Au secours de la torture », paru dans l’Express n° 334, écrit : « L’histoire dira que la torture a été rétablie en France par ceux qui se sont tus.». « Pour Djamila Bouhired de Georges Arnaud et Jacques Verges (Chez Minuit toujours) est l’histoire d’une Algérienne compromise dans un attentat et qui a été condamné à mort. Coupable ou innocente ? Les lecteurs de ce compte rendu, à vrai dire passionné, en décideront. L’inculpée, blessée d’un coup de feu lors de l’arrestation a été « interrogée » – sur la table d’opération – oui ! et les défenseurs ont été a deux doigts d’être lynchés. » L’Express n° 350, 6 mars 1958, est saisit à cause d’un article de Sartre à propos de La Question d’Alleg, « Une victoire », qui est repris dans le Canard Enchaîné et imprimé en caractère déchiffrable à la loupe (ce qui lui permet d’échapper à la censure).
« Hitler n’était qu’un précurseur » affirme Sartre dans le même journal. « La France n’était guère plus muette sous l’occupation. Encore avait-elle l’excuse de porter un bâillon »  On savait, en tout les cas ceux qui savaient lire pouvait savoir. La censure évitait que cela soit jeté sur la place publique et trouble l’ordre des chaumières et des bars ? Non, ce n’était pas pour le peuple qu’on pourrait bien mater et qui n’en voulait rien savoir d’ailleurs. La censure évitait au pouvoir de reconnaître des faits que d’autres ne manqueraient d’utiliser pour le déstabiliser.

Comme c’est désormais l’habitude, personne n’a rien vu. La Guerre d’Algérie ? « Il n’y a pas de guerre en Algérie et pourtant 30 000 personnes trouveront la mort entre 1954 et 62. Pourtant il existe bien une guerre , même si on ne la voit pas. Lelouch et De Broca filment les combats en faux dans le Sud de la France. Seul Marc Flamand le photographe de Bigeard la shoote en vrai.
« Finalement les Français n’ont rien vu de la guerre d’Algérie. Parce qu’elle prônait la paix tout en faisant la guerre, la propagande française ne pouvait qu’être rattrapée par la réalité. » (Filmer la guerre d’Algérie – Cédric Condom)

Dans La Force des choses, Simone de Beauvoir reviens, en 1961, sur les années de la guerre d’Algérie. C’est un témoignage – presque en direct- sur son engagement. Elle insère dans son témoignage des extraits de son journal. Au plus prêt donc.
« Ce n’est pas de mon plein gré, ce n’est pas de gaieté de cœur que j’ai laissé la guerre d’Algérie envahir ma pensée, mon sommeil, mes humeurs. Le conseil de Camus – défendre malgré tout, son propre bonheur – personne n’est plus enclin que moi à le suivre. (…) L’Algérie obtiendrait son indépendance mais dans longtemps. (…) des rappelés parlèrent ; des renseignements affluèrent : conversations, lettres adressées à moi, à des amis, reportages étrangers, rapports plus ou moins secrets que des petits groupes diffusaient. On ne savait pas tout, mais beaucoup, mais trop. A condition qu’on la lui fardât, le pays consentait allègrement à cette guerre. (…) Ce qui m’atterra, c’est que le chauvinisme eut gagné l’immense majorité des Français, et de découvrir la profondeur de leur racisme. (…) Mes compatriotes ne voulaient rien savoir. A partir du printemps 57, la vérité transpira et s’ils l’avaient accueillie avec autant de zèle que la révélation des camps de travail soviétiques, elle aurait éclaté au grand jour. La conspiration du silence ne réussit que parce tout le monde s’en fit complice.  Ceux qui parlaient on ne les écoutait pas, on criait pour couvrir leurs voix et si on entendait malgré soit quelques rumeurs, on se hâtait de les oublier. (…)
On m’avait traité, parmi quelques autres, d’anti française : je le devins. Je ne supportais plus mes concitoyens (…) J’avais besoin de mon estime pour vivre et je me voyais avec les yeux des femmes vingt fois violées, des hommes aux os brisés, des enfants fous : une Française. »

On trouve facilement tout cela maintenant.

Et puis à la radio, -le hasard propose toujours quelque chose en rapport avec ce qui nous préoccupe. Il suffisait de sa mettre en état de recevoir – je tombe sur Entretien de Lucien Hanoun avec Aline Pailler en 2014. « à voix nue », c’est une rediffusion.  « Je me trouvais dans un camp de concentration parce que dès que les hostilités ont été ouvertes sur place à Alger on a mis dans un camps tous ceux qui étaient responsables syndicaux, politiques susceptibles d’intervenir en faveur de l’indépendance, j’en faisais partie. C’est 54, j’ai quarante ans ? Je suis enseignant on me met dans se camps à Lodi, on se retrouve des trois départements et puis ensuite se créeront d’autres camps. Au début on est à la fois Algérien et Français et puis très vite les Algériens disparaissent et vont beaucoup plus au Sud où le camps est beaucoup plus dur. C’est d’abord la prison d’Alger connue sous le nom de Barbe-Rousse, ensuite lla maison Carrée et ça dure un an, jusque là je ne suis pas jugé et à partir du moment où je suis jugé et condamné à quatre ans de prison, c’est Béroglia de funeste réputation, sous Vichy il y a eu des morts sous les faits de certains gardiens de prison que nous retrouvons (…) les coups pleuvent, on est dans la salle dirigée par des prévôt je crois (…) qui connaissent la méthode, autrement dit qui sont autorisés à frapper (…) On me met dans un camps d’abord. Je suis soupçonné d’aider effectivement la lutte pour l’indépendance et c’est dans le camp qu’on vient me prendre sans me dire où je vais et j’obtiens de notre gardien de camps qu’il me dise que ce sont les paras de la légion étrangère qui viennent me prendre (…) on me met dans un camion bâché d’où je ne vois rien et l’on me mène dans un camps de triage à Beni Messous près d’Alger. Ce camp de triage comme son nom l’indique est un camp d’attente où tous ceux qui ont envie d’interroger ceux qui y seront et s’ils sont au courant de leur emplacement. viendront nous cueillir et nous emmener à l’interrogatoire entre les mains du fameux capitaine Faulques, de la légion étrangère réputée comme je le savais comme tortionnaire (Cf. henri Alleg « La question ») qui faisait les pires des choses : brûler les camarades au chalumeau ! Le gouvernement avait été prévenu, j’étais un peu soulagé. »

Le capitaine Faulques Roger,  du premier bataillon étranger de parachutistes, Officier de renseignement lors de la bataille d’Alger, assume la torture.

Lucien Hanoun est né le 19 septembre 1914 entre Oran et Alger, son père commerçant juif mobilisé chez les zouaves meurt un an plus tard en Serbie. Il part en 1936 poursuivre ses études en France. D’abord socialiste (Le front populaire de Léon Blum) c’est suite à la non-intervention en Espagne puis aux accords de Munich qu’il prend sa carte au parti communiste. « Je ne comprenais pas que la France refuse de s’allier à Staline contre Hitler. » Mobilisé en 1940, il retourne en Algérie où il enseigne brièvement en lettres classiques avant d’être chassé de son lycée en raisons des lois antisémites de Vichy. En 1944, il participe au débarquement de Provence puis à la libération de la France. Dès les premiers mois de la guerre d’Algérie en 1954, le professeur de lettres est chargé de « La voix du soldat » un journal communiste distribué clandestinement aux troupes du contingent Français « c’est moi qui écrivait tous les articles », assure-t-il fièrement j’y délivrais mes idées en faveur de l’indépendance de l’Algérie ». Des propos qui lui valent d’être rapidement arrêté avant un procès en 1956. « J’ai eu de la chance parce qu’il y a eu une très forte mobilisation en France. On parlait de mon procès dans l’Humanité et le tribunal a reçu beaucoup de courrier de soutien. ». Lucien Hanoun estime que c’est ce qui lui a permis d’échapper à la torture. Il purgera une peine de quatre ans. A l’indépendance, il se fait citoyen algérien, le Français est remplacé par l’Arabe à l’école. Il rentre en France en 1967. « Mon peuple, c’est le peuple algérien » dit-il – Il cofonde en 1986, l’association « Agir contre le colonialisme aujourd’hui. » avec Henri Alleg. Lucien Hanoun a fêté ses 100 ans, cette année 2014 et est décédé en 2018

Le camps Basset à Beni Messous,
J’en parle à mon père…
– oui il y avait un camps où ils emmenaient les prisonniers pour les interroger…

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