Enfance

Vaccin – huile sur toile – 22 x 35 cm

Est-ce qu’il voulait se marier ? Non. Dit-il. Mais on fait comme cela…

Est-ce qu’elle pensait au mariage ? Comme à un contrat que l’on ne remet pas en cause. Ils furent donc amoureux puis amant ou l’un sans l’autre. Il ne sourit jamais sur les photos. On l’aperçoit rire sur quelques clichés. Des réunions, un verre devant lui, c’est un homme qui le fait rire. Une bonne blague. Ce qui est introuvable. Le clandestin. C’est ce qui se passe dans l’intime avant l’arrivée du premier enfant. Ce que l’on cache à tous et à l’enfant ensuite tant qu’on le peut. Mais on ne peut rien lui cacher et on aurait honte de le faire (on lui doit la transparence). Si on le réveillait… On ne va plus au cinéma comme avant.
Je pourrais écrire un roman ? Début du roman :
Au début, Ce n’était ni une nécessité, ni une obligation. Cela se faisait sans que la société (famille, église, génération) ne s’en mêle. Dans les Aurès, il pensait à elle, au cinéma de campagne. Ils s’y étaient rencontrés, ils s’y retrouveraient après le Service… Je ne sais pas si c’était seulement un désir, un projet, une simple idée qui passe au moment de s’endormir. « Nous aurons des enfants ». Cette drôle d’idée que des rêves, des projets, font les enfants ?
Un texte un peu romantique.
Les enfants, on commence à s’en préoccuper, on va les soigner, les éduquer, c’est promis. On leur promet un avenir.
Mon père avait 20 ans, ma mère 18. Non, ni père, ni mère. Ma sœur aînée n’était pas née. Je peux imaginer que s’il a germé dans la tête de mon père, l’idée de devenir un père, ça a pu se formuler comme « j’aurai un fils » ou alors plus interrogatif…« si j’avais un fils ? Parce que si j’avais un fils d’abord ce serait plus simple. Enfin, j’imagine, non ? ».
Mais cette idée ne vient peut-être jamais aux jeunes hommes, c’est ceux d’avant qui leur souffle. La descendance… une vision à rebours du sens de la vie. Vous naissez et tout est déjà tracé. On a déjà bien glosé sur votre rôle, votre rang, vos devoirs… etc.
Ou bien alors, cela était formulé ainsi : « si je rencontre un femme qui me plait, nous nous marierons, nous devrons nous marier, elle voudra des enfants. ». Une fois mariés, ils auraient des enfants.  Un homme veut un fils, une femme veut des enfants. Je crois que ma mère n’a pas émis l’idée de ne pas être mère. C’était sa vie avant qu’elle ne songe à y réfléchir. Un mari, des enfants.
Le père de mon père voulait que son fils ait un fils et ce fut une fille. Les lignées sont écrites d’avance mais ne font jamais que d’obscures circonvolutions. A 20 ans j’imagine plutôt mon père comme un bon camarade. Mais je ne saurais jamais rien. Une certaine pudeur oblige à taire ce qui a été avant le mariage, un autre interdit est celui de dire ce que l’on désirait, en secret, en silence et qui n’a pas été.
On s’occupe des enfances en cette fin des années 50.

En 1957 : début de la vaccination anti-polio de tous les enfants de France. Un tableau : la gamine qui hurle alors qu’on lui enfonce l’aiguille ; On va commencer à prendre soin de ses enfants. A faire de l’enfance la grande période protégée. Une pub qui fait grimper l’espérance de vie.  Quand on est petit on regarde « les grands » par en dessous et on attend d’en être. On n’y est pas. On regarde en l’air.  Comme Dieu est mort, les pères s’embourgeoisent et laissent faire !

On va leur cacher ce qui a précédé. Ce n’est pas glorieux.  On leur dira que les temps ont changés, que l’on a quitté l’obscurité. Grand-père, oui, la guerre, les prisonniers. On vit bien en France. On a du travail. La paix. Les anciens, ils ont des choses à dire et à taire, on passe à autre chose.

En 1957, Louis-Ferdinand Celine publie D’un Château L’Autre. Le vieil écrivain acariâtre est toujours vivant, revenu de tout, la guerre il la connaît. Il en a traversé deux. Il publie même un livre de souvenir, enfin à sa manière opératique. C’est pas reluisant les années d’après l’occupation, de la libération… Il juge l’enfance, il mesure ce qui a changé.
Louis-Ferdinand Céline raconte les promenades en bateau-mouche de son enfance. Pont-Royal. Suresnes. «  tout le bateau mouche était que gifles… c’était l’éducation d’alors ! beignes, coups de pieds aux culs… maintenant c’est énorme évolué… l’enfant est complexe et mimi. »

Barthes : dans Mythologie (1957) écrit dans un article, La littérature selon Minou Drouet : « Une certaine idée normative de l’enfance et de la poésie. » Minou Drouet est une gamine dont on publie les poèmes (elle est souvent associé à Sagan, l’enfant prodige et cela pour dénigrer cette dernière. Qui lirait aujourd’hui les romans de Sagan ?) Ça le rend dingue Céline, Sagan, Minou Drouet, les auteurs américains, tout fout le camp.

Bref. Barthes écrit :
« A l’époque de Pascal, on considérait l’enfance comme un temps perdu : le problème était d’en sortir au plus vite. Depuis les temps romantiques, (c’est-à-dire depuis le triomphe bourgeois), il s’agit d’y rester le plus longtemps possible. La majoration déplacée de cet âge suppose qu’on le considère comme un âge privé, clos sur lui-même, détenteur d’un statut spécial, comme une essence ineffable et intransmissible.»

Les vieux grognons n’y voit pas le progrès. Les jeunes voudraient se défaire des générations. Puisqu’elle, l’enfance, est intransmissible, pourquoi chercher à nous en instruire et à nous en imposer la forme ? Le Mariage, la famille…

Dans les amants, film de Louis Malle sortit en 1958 (vaguement inspiré par point de Lendemain de Vivan Denon), Jeanne Tournier (Jeanne Moreau), au petit matin, abandonne mari et enfant pour son amant d’une nuit… la scandaleuse comprend que le meilleur est passé.
Dans la modification de Michel Butor, Nouveau Roman publié en 1957 aux Éditions de Minuit et prix Renaudot, rien ne se passe, sinon une tempête dans le cerveau du mari infidèle. Cet homme d’affaire voyage entre Paris et Rome bien décidé à quitter son épouse et les enfants qu’il a eut de celle-ci afin de vivre avec sa maîtresse qui vit à Rome et qu’il veut faire venir à Paris.
Dans Moderato Cantabile de Duras (1957).  Anne Desbaresdes abandonne son fils à ses jeux sur le quai. Alors qu’elle passe son ennui avec un ouvrier.
On leur a pris leur enfance, et ils s’en aperçoivent. Ça ne tient pas, ça craque de partout.
Dans un certain sourire Françoise Sagan place dans la bouche de Luc, le mari, l’amant de la jeune narratrice : «  La base de tout c’est ma fatigue, mon ennui. Solides bases d’ailleurs, superbes, on peut bâtir de belles unions durables sur ces choses-là : la solitude, l’ennui. Au moins ça ne bouge pas. » Un certain sourire (1956).
Dans l’exil et le royaume, Recueil de nouvelles parues en 1957, Camus,  décrit une « femme adultère » qui trompe son médiocre mari non pas avec les hommes orgueilleux, arabes ou militaires qu’elle croise, mais avec les étoiles, l’horizon de la nuit, le désert. Le Mariage : «  Elle suivait Marcel, voilà tout, contente de sentir que quelqu’un avait besoin d’elle. Il ne lui donnait pas d’autre joie que de se savoir nécessaire (…) elle savait que Marcel avait besoin d’elle et qu’elle avait besoin de ce besoin. »
Les histoires d’amour, de tromperie, de maîtresse et d’amant, de mari et d’épouse, c’est bien toujours ce qui préoccupe les écrivains français. Ils cherchent à retrouver l’entièreté de l’enfance ? puisqu’il n’y a rien qui préoccupe leur enfance… Le romantisme est une poussée de la jeunesse.

JE ne veux rien céder sur Mon enfance et décider par moi-même !

L’enfance est buissonnière, François Truffaut signe son premier long métrage (1959). Le jeune Doisnel s’échappe dans Paris. Il sera désormais possible de traverser la Place de Clichy pour y retrouver Antoine.

les400 coups

La Jeunesse statistique de la fin des années 50 :
Sondage sur les 15-29 ans.
«  Cette année-là, (1957)  L’Express propose à l’Ifop de lancer une grande étude par questionnaire auprès des 15-29 ans, la première du genre. Les réponses sont publiées sous forme de feuilleton, sur six numéros. C’est dire si le journal – et l’époque – prennent au sérieux la jeunesse, que Françoise Giroud baptise alors « la Nouvelle Vague », une formule devenue célébrissime parce qu’elle annonçait ce qu’on ne savait pas encore: à partir des années 60, les jeunes s’affirmeront comme une classe sociale en soi.
En 1957, en tout cas, Aznavour chante : « Il faut boire jusqu’à l’ivresse sa jeunesse, car tous les instants de nos 20 ans nous sont comptés. » Effectivement, les 15-29 ans comptent – on manque de tout, à cette époque, d’abord de légèreté. Ils mégotent leur bonheur, vaguement dubitatifs: 61% d’entre eux se disent « assez heureux », mais parfois pas tellement (14%). Une secrétaire de direction, mère de trois enfants, écrit alors à L’Express: « Non, je ne suis pas heureuse. Je ne suis pas malheureuse non plus. Je ne suis rien, je vis. » Puis elle se ravise: « L’amour. D’accord. Mais cette catégorie d’amour qui illumine la lessive, combien de temps dure-t-il ? Deux ans. »
53 % des jeunes gens affirment : « Nous avons de la chance de vivre à l’époque actuelle »
59% considèrent que leurs études les ont armés – ou vont suffisamment les armer – pour la vie.
« Qu’on est bien dans les bras d’une personne du sexe opposé », fredonnait Guy Béart, mais 48% des moins de 30 ans seulement pensaient que l’amour avait beaucoup d’importance.
Dans les années 50, les jeunes étaient d’abord chargés de reconstruire la France de l’après-guerre. C’était lourd, l’horizon semblait incertain, il fallait « se priver » – cette expression revient en leitmotiv dans les lettres que L’Express les invite alors à écrire. A l’époque, on travaille avant d’avoir le droit de voter, on se marie tôt et on fait des enfants avant d’en avoir les moyens financiers, et on cherche à se loger, jusqu’à l’obsession. Habitués à obéir, plutôt fatalistes, les 15-29 ans exigent alors peu de la vie. Les filles sont tiraillées entre le désir de s’émanciper et la volonté d’être une « bonne épouse »: « Je voudrais savoir si je vivrai solidaire de mon époque ou solitaire dans mon époque », écrit l’une d’elles. Faute d’argent, faute d’études, les garçons ne choisissent pas toujours leur métier. Mais ils assument. L’Ifop conclut son enquête le 12 décembre: « La tendance dominante est celle d’une insouciance modérée chez les garçons, d’une adaptation passive à des conditions non discutées chez les filles. » Françoise Giroud parlera joliment d’une jeunesse « à l’énergie désaffectée ».
« Croyez-vous que votre génération sera différente de celle de vos parents? » a demandé l’Ifop. En 1957, 16% d’audacieux s’aventuraient à acquiescer. (article de l’Express en 1999)

Des jeunes hommes continuent d’embarquer vers l’Algérie.

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