Études (de dossier)
Étude Aquarelle + Photoshop/ Sources : Menines Picasso 1957 D.Velasquez – Photographie de Duncan lors de l’exposition Picasso à la Galerie Louise Leiris – 1959
Le projet l’image introuvable était à l’arrêt
J’avais demandé de l’aide. Proposé le projet à la direction des affaires culturelles de Normandie. J’avais rencontré Monsieur F. puis constitué un dossier de présentation du projet, de l’expo « (1957-1959) l’image Introuvable ». Assez riche pourtant à mon avis ; il me semblait d’avance condamné à ne pas séduire plus que de raison le commissaire, ni le jury. J’espérais un petit coup de pouce financier fût-il impensable de rentrer dans le réseau de l’art subventionné. J’avais regroupé en un autre dossier les photographies de la quasi-totalité de mes peintures.
L’aide était affectée à un artiste désirant modifier sa pratique, évoluer dans une nouvelle direction. Voilà. Je demandais du temps, le temps de pouvoir pousser un peu la recherche. Des moyens financiers c’est du temps. Du temps à dépenser. Pour mettre à jour de nouvelles images. Plus exactement, j’allais sélectionner quelques images par la peinture afin de trouver celles… qui au fond… montreraient. Cela ne vaut que par l’accumulation. On connaît désormais le principe. S’arrêter, se retourner et débusquer dans un coin obscur (et en pleine lumière pourtant – comme la Lettre volée) ce qui permet de continuer. Parce qu’il faut continuer. La réponse fut cinglante. « Recherche artistique fragile – le sujet aurait mérité d’être traité dans la matière même » Et dis comme cela elle ne pouvait que l’être. Recherches artistiques fragiles ? Comment ces recherches pourraient-elles être solides ? J’avance. J’avance sur des œufs, je cherche à équilibrer des morceaux plus ou moins réguliers, plus ou moins adaptables, j’empile ces parties l’une sur l’autre, ce qui crée inévitablement un déséquilibre que je cherche à compenser, que j’étaye comme le besoin s’en ressent. L’artiste doit laisser croire qu’il a fait tout cela d’un jet, dans une épiphanie et qu’il sait parfaitement ce qui va suivre… Les artistes qui composaient le jury ? Je ne les connais pas ? Tout sauf bienveillants les artistes – peaux de vache en concurrence permanente, sinon amicale et donc alors très arbitraire. – Professeurs et critiques… Mon projet sortait de l’air du temps, des normes de réception… J’oscillais entre rancune et compréhension. Qu’est-ce qu’ils en avaient à foutre ! La colère, moteur à 20 ans, laisse un peu désabusé à mon âge. La colère en l’occurence, le ressentiment, l’orgueil touché n’est qu’une flatterie de l’égo au corps qui se doit de repartir. Etait-ce nul ? pas assez poussé dans sa réflexion même ? Trop d’heures passées là, pour abandonner, pour ranger dans un coin ces tableaux. (les remiser ? Oui, bien sûr, on remise les tableaux lorsqu’on ne les expose pas.). Pas l’énergie disponible non plus pour passer à autre chose. Continuer à vendre mes tableaux, oui. Laisser de côté les grands formats de ‘L’image introuvable » ? OK. En finir avec ces accumulations de mots, d’objets, de corps, d’images. J’étais renvoyé à mes chères études et à mes paysages en atelier.
- Il eut fallu traiter le sujet dans la matière même.
- La matière même ? Comment traiter une peinture autrement que dans la matière même ? Ce sujet n’était donc pas traité dans la peinture. J’aperçois l’air circonspect et dubitatif des membres du jury devant lesquels on déroulait le diaporama que je leur avait concocté, des photos reproduites au plus près sur la toile, peinture photographiée pour le dossier numérique de présentation. Que restait-il de la matière même ? Aucun artiste, enseignant ou critique les avait vues « en vrai » les peintures. Mais la colère retombe vite, la déception dure un peu plus longtemps mais s’efface elle aussi.
- Les grands formats projetés (production pour les mois à venir), d’après études (projetées sur le diaporama)… : Burrough revenant Rue-gît le Coeur, Doisnel Place Clichy, Belmondo et Jean Seberg sur les Champs … d’autres revenants.
- Picasso en couleur dans les photos de Duncan. (Picasso en couleur et présent. Le seul à l’époque ? Klein ? Les abstraits ? Lyriques ou pas ?)
- Une grande toile en matière « morbide »
J’ouvrais les portes de l’atelier, accrochant mes tableaux atmosphériques, laissant trainer deux ou trois « noir et blanc » et c’est à la matière même que les visiteurs s’accrochèrent. « c’est peint !? », ce qui attirait en plus de l’image c’est qu’il y avait eu le temps de la peinture, et la main après l’œil. Et la lenteur d’une image sortie du flot incessant d’aujourd’hui.
Le Tryptique : Bœuf-vaccin-mixer. Renvoyait à ce qui aujourd’hui préoccupait ? Inquiétait ? interrogeait ? Le trou noir de la technique chimique industrielle.
Jeanne Moreau disparaissait (le 31 juillet 2017) et le Motel filmé par Louis Malle intéressait surtout les visiteurs pour la Dauphine et le scoot garés devant. C’est une Dauphine ? Oui. Et un vespa ? Non ? Ah bon ?
J’avais arrêté mes lectures « historiques » à Claude Simon. (cf articles listes I et II). J’avais lu en dernier lieu La Route de Flandres (publié en 1960, le roman sortait du cadre, mais comme c’était LE livre de Simon.) Une jeunesse dans la guerre (fut-ce la débacle), le portrait de l’ancêtre « un général révolutionnaire qui se serait suicidé. »
« […] ce portrait que pendant toute son enfance il avait contemplé avec une sorte de malaise, de frayeur, parce qu’il (ce lointain géniteur) portait au front un trou rouge dont le sang dégoulinait en une longue rigole serpentine partie de la tempe, suivant la courbe de la joue et dégouttant sur le revers de l’habit de chasse bleu roi comme si – pour illustrer, perpétuer la trouble légende dont le personnage était entouré – on l’avait portraituré ensanglanté par le coup de feu qui avait mis fin à ses jours […]. (pp. 53-54)
[…] la trace sanglante qui sur le portrait descendait de son front n’était en réalité que la préparation brun rouge de la toile mise à nu par une longue craquelure […]. (pp. 54-55)
Mais il fallait se tenir au cadre, le portrait de l’ancêtre par Simon n’entrait pas dans la composition. Il avait été possible d’y déroger par des films qui situaient leur action dans le cadre des trois années retenues (Adieu philippines par exemple – mais il s’agissait alors d’une censure et le protocole n’était pas complètement au point… et puis il faut une exception pour confirmer une règle. C’est connu. Bref.) Il faut se tenir au cadre (ne serait que pour ne pas déborder, s’éparpiller, se noyer. Même si des astuces de compositions permettent d’en sortir. Ça aussi c’est connu.
Je revenais donc au protocole, je relançais le projet, après quelques mois de pause. Et c’est par la lecture, la littérature évidemment que cela revenait. Pourquoi évidemment ? Parce que peinture et littérature sont si étroitement liées que l’une répond au manque de l’autre, et inversement. Je mets en pause mon activité de peinture pour lire (ou accessoirement écrire), le livre me conduit à me replonger dans la peinture. Espace communicants ou deux faces du même espace. Sablier qui remplit l’un quand il vide l’autre.
A la relecture (d’un retour à l’écriture). C’est cet appel d’un phrase qui s’élancerait et ne se terminerait plus, emportée par son rythme… élan qui rapidement s’essouffle, parce que l’idée prend le dessus et le flux se tarit sous les hoquets d’une liste, d’une énumération à composer, à développer (l’idée prend le dessus ? Ou plûtot il n’y a plus d’idée et chercher ce que le flux pourrait bien charrier brise l’élan. « On n’écrit pas des livres avec des idées mais avec des mots. »
Et quand je quitte la peinture c’est que sachant ce qu’il faudrait peindre, je ne trouve pas l’énergie pour lancer mon corps dans le flux. Les mots, un corps, des lignes, des phrases. Des marques sur une page-toile blanche.
Il y avait à réaliser, à déposer sur la toile cette image (non vue, mais lue) d’une femme apparaissant derrière les jalousies (décrite par Robbe-Grillet).
Et puis H. Arendt. Préface à la Crise de la Culture :
« Installation dans la brèche entre le passé et la futur »
et aussi cette phrase de Faulkner, cité par la philosophe : « Le passé n’est jamais mort, il n’est même pas passé. »