Cendres (Beckett)

Le bruit des galets qui hurlaient sous les vagues ? « Va-t-elle se taire ! ».

2017 Cailloux I  – huile sur toile – 80 x 80 cm

Deux silhouettes vieillies de marcheurs le long de la grève. « Aurions-nous pu être heureux »

Vieux – 50 x 37 cm – Huile sur toile – 2017

Un magnéto Nagra de 1959. (et un micro Neumann Slim-Trim multi-directionnel) – huile sur toile – 27 x 35 cm

En 1957, Beckett n’est pas un perdreau de l’année, il a publié des poèmes, des nouvelles et des romans. Les Romans, Molloy, Watt, l’Innommable. trilogie qu’il faut bien placer au sommet de ce que le roman a pu formulé de plus… de plus ? De moins ? Beckett et l’infiniment rien. Alors Beckett se prend d’écrire pour le théâtre. Avec ses personnages qui n’attendent rien… enfin rien. Godot.

Robbe-Grillet qui écrit un article sur les début au théâtre de Samuel Beckett convoque Heidegger. L’Homme est l’être-là. Au présent de la scène. Sans rôle à jouer, sans texte à réciter… Sans possibilité de s’échapper ni de fuir, sans possibilité de faire sa valise et de partir simplement, ni de vouloir partir… » C’est probablement une lecture un peu simple de Heidegger, on comprendra mieux si on ne retient que deux des derniers titres parus de RB  sont Le voyeur, et Le labyrinthe, pas d’issue. Une lucarne. Et la mémoire… En 57 Beckett récidive au théâtre : Fin de partie
Fin de partie est la deuxième pièce de Samuel Beckett à avoir été représentée. Créée en 1957, elle a d’abord été écrite en français puis traduite en anglais par Beckett lui-même sous le titre d’Endgame.
* Pièce en un acte pour quatre personnages, écrite en français entre 1954 et 1956. Première publication aux Éditions de Minuit : Fin de partie, suivi de Acte sans parole I, 1957.

Hamm, aveugle paraplégique, au centre de la pièce. Clov son valet qu’il martyrise
Nell et Nagg, les parents de Hamm, ont perdu leurs jambes lors d’un accident de tandem dans Les Ardennes et vivent désormais dans deux poubelles situées sur la scène.

« porte à l’avant scène à droite. Accroché au mur près de la porte un tableau retourné.» [c’est moi qui souligne]

Beckett écrit aussi pour la radio. A La radio :  un texte écrit et texte joué et texte entendue… on pourrait se passer des yeux.

En 1957 pièce radiophonique pour la radio anglaise : All that fall.
Tous ceux qui tombent  est la traduction par Robert Pinget, révisée par l’auteur de la version anglaise. Elle a été mise en ondes pour la radio en 1959

Madame Rooney, geignarde et semi-impotente, « pourrie de chagrin et de graisse et de douleurs et de stérilité », et qui rêve de « se répandre par terre comme une bouse et ne plus bouger  », va chercher son mari aveugle à la gare. Elle rencontre, en chemin, différentes connaissances. Lorsque le train arrive, en retard, le couple entreprend un retour lent et pénible. En chemin, l’homme se souvient d’une envie ancienne de tuer un enfant pour « couper court à un fiasco en fleur» et éclate d’un rire sauvage lorsqu’il apprend que le prochain prêche aura pour thème « L’Éternel soutient tous ceux qui tombent ». On apprend que le retard du train est dû à la chute d’un enfant sous les roues. (wikipédia)

Dans Tous ceux qui tombent : l’énorme Madame Rooney évoque la disparition de sa fille ? Minnie . Elle aurait eu dans les 40 ans, 50 ans. « j’ai assez de boue sur la conscience »

On entend « La jeune fille et la mort » de Schubert.

Des livres, des lectures, c’est l’aveugle qui réclame le texte : « Je sens Qu’EFFIE va coucher avec le major. Tu me liras un chapitre.» C’est le Le même texte que Krapp lira jusqu’à se crever les yeux .
Effie ? Roman de Théodore Fondane 1895 – (Effi sans e) Ou Heart on Midlothian de Walter Scott (une héroïne porte le nom Effie avec un e) ?

La petite fille doit mourir et n’est jamais née réellement : P.68

« Tu n’as jamais eu envie de tuer un enfant ? Coupé court à un fiasco en fleur… ?

« si on continuait à reculons. Comme les damnés de Dante, la tête vissée en arrière. » P. 57  Une barque pour traverser le Styx… une barque ?

La dernière bande.
L’auteur avait initialement l’intention d’écrire pour la radio anglaise, mais il a rapidement décidé de destiner à la représentation ce texte très court (quelques pages dont le titre anglais est Krapp’s Last Tape) qui a été monté en complément de Fin de partie et joué en anglais en 1958.
Samuel Beckett l’a traduit lui-même en français – avec l’aide de Pierre Leyris – en 1959.

«  Un soir, tard, d’ici quelque temps. La turne de Krapp. »
Krapp, vieil homme négligé, mangeur de banane, avachi sur la table.
Sur la table un magnétophone et puis un microphone.
Des bandes et un registre où sont notées les références de bandes.
Notices : Maman en paix, la balle noire, la bonniche brune, Légère amélioration de l’état intestinal, Equinoxe, mémorable équinoxe, Adieu à l’amour.
«  Un soir, tard, d’ici quelque temps. » Ce que nous allons voir, écouter, entendre, va arriver inévitablement et rien ne passe, Tout est déjà passé. Non pas ce présent là. Réécoute.
Krapp réécoute la bande qui tourne autour de ses 39 ans et où il s’entend dire avoir réécouté une bande qui le ramène 10 ou 12 ans en arrière. Celui qui parle alors, qui écoute et juge l’homme plus jeune qu’il a été. « Difficile de croire que j’ai jamais été ce petit crétin. Cette voix ! Jésus ! Et ces aspirations ! Et ces résolutions ! Boire moins notamment. » Le rire de Krapp sur la bande, alors qu’il se remémore, et le rire de Krapp au présent lorsqu’il se réécoute se remémorer. La maison où sa mère s’est éteinte, après une longue viduité (période veuvage, c’est krapp lui-même qui vérifie la définition du mot viduité dans le dictionnaire.) et puis cette femme brune avec des yeux comme des crysolithes (péridot – reflets verts) qui pousse un landeau avec une capote noire ! D’un funèbre. Qui menace d’appeler un agent lorsque Krapp lui adresse la parole, comme s’il en voulait à sa vertu. Et puis cette petite balle noire qu’il a tenu dans la main et qu’il aurait pu garder et qu’il a rendu au chien et qu’il sentira dans sa main jusqu’au jour de sa mort. «  ces instants à elle, mes instants à moi. Les instants du chien.»
« je suppose que j’entends ces choses qui vaudront encore la peine quand toute la poussière sera – quand toute ma poussière sera retombée. (P.15) »
On entend des bribes d’évènements… des faits… amoureux… la mort… un évènement bouleversant. On n’entend pas le chant de la vieille miss McGlome…
(P. 22) « Spirituellement une année on ne peut plus noire et pauvre jusqu’à cette mémorable nuit de mars au bout de la jetée, dans la rafale, je n’oublierai jamais, où tout m’est devenu clair. La vision enfin… »
Krapp avance la bande nerveusement, on n’entendra pas la narration de cette vision, on ne saisira pas ce que soudain il a vu, «  le feu qui l’avait embrasé » Il a comprit qu’il se trompait… jusqu’alors. Il fait avancer la bande.
“ Clair pour moi enfin que l’obscurité que je m’étais toujours acharné… est en réalité mon meilleur… » (P. 23)
« Indestructible association jusqu’au dernier soupir de la tempête et de la nuit, avec la lumière de l’entendement et le feu. »

Une femme couchée dans une barque sur le lac. La main de Krapp sur son sein. Et ses yeux fermés à cause du soleil et qui se sont rouverts quand Krapp s’est penché vers elle pour lui faire de l’ombre, et qui l’ont laissé rentrer. « je me suis coulé sur elle, mon visage dans ses seins et ma main sur elle. Nous restions là couchés, sans remuer. Mais, sous nous, tout remuait, et nous remuait, doucement , de haut en bas et d’un côté à l’autre.»

Qu’est qu’il y aurait à enregistrer aujourd’hui ? Les souvenirs ? Les livres qui ne se vendent pas, l’envie d’en finir, les livres à relire ? Les rendez-vous avec Fanny cette vieille putain squelettique… Allez vide ta bouteille et fout toi au pieux. »

Peut-être que ses meilleures années sont passées. Quand il y avait encore une chance de bonheur. Mais il n’en voudrait plus. Plus maintenant qu’il a ce feu en lui. «  Non, je n’en voudrait plus.»

Que serions-nous devenue ? C’est le titre provisoire que je donne au tableau des deux vieux. Est-ce que c’est  la phrase qui est prononcé par Krapp ? Au présent ? À la relecture des bandes ? Non :
« Aurais-je pu être heureux avec elle… ? »

Cendres (Ambers) – Pièce radiophonique. Traduit de l’anglais par l’auteur. Pièce radiophonique. Pas d’image donc. On trouve le texte à la suite de La dernière Bande. Editions de minuit. Traduit de l’anglais par Roger Pinget et l’auteur (1959)

« Mer à peine audible. Pas de Henry sur les galets. Il s’arrête. Mer un peu plus fort. Mer plus fort. » [ Il faudrait pouvoir montrer (voir) le bruit de la mer et des galets. ] Il s’assied. Bruit de galet qui s’éboulent, mer audible pendant tout ce qui suit. Chaque fois qu’un temps est indiqué.

« Mon père, revenu d’entre les morts, pour être à côté de moi, dans ce lieu étrange (un temps). Est-ce qu’il m’entend ? (un temps) oui (un temps) Il faut qu’il m’entende (un temps). Pour pouvoir répondre ? (un temps) Non. Il ne répond pas. A côté de moi pas plus (un temps). Je dis que ce bruit qu’on entend c’est la mer, nous sommes assis sur la grève (un temps). J’aime autant le dire parce que le bruit est si étrange, ça ressemble si peu au bruit de la mer, qu’à moins de voir ce que c’est on ne saurait pas ce que c’est. (P. 38-39)

[ Le bruit des galets, brassés, projetés par les vagues, des sabots…] « Un mammouth, le ferrer avec de l’acier qu’il mette le monde en miette.
«  aujourd’hui, elle est calme, mais souvent, je l’entends là-haut chez moi où quand je me promène dans la campagne et commence à parler oh juste assez haut pour ne pas l’entendre, personne n’y fait attention (un temps) c’est à dire que je parle tout le temps à présent, tout le temps et partout. Une fois je suis parti en Suisse pour ne plus l’entendre la salope ! (P. 40)

(…) Ada – On dirait un vieux bruit entendu autrefois (un temps). On dirait d’autres temps, au même lieu (un temps). Elle était en furie L ‘écume nous éclaboussait (un temps) ? En furie alors. (un temps) Et calme aujourd’hui (un temps). Etrange.
(P. 56). Mer brusquement démontée
Ada (20 ans plus tôt suppliante).
-Pas ça, Pas ça.
Henry (de même pressant)
-Chérie.
Ada (de même plus faiblement)
-Pas ça, pas ça !
Henry (de même exultant)
Chérie (mer démontée, cri perçant d’Ada. Mer et cri de plus en plus fort, coupés net. Un temps. Mer calme. Henry remonte la grève fortement en pente. Ses pas laborieux sur les galets qui cèdent. Il s’arrête (un temps. Bas). Avance. (un temps). Il avance. Il s’arrête. (un temps bas).
Encore. (…)
Ada – Ne reste pas là à voir tes fantômes.
(P.59)
C’est doux comme une berceuse, pourquoi le hais tu ? (un temps) Et si tu le hais, tu n’as qu’à t’en éloigner. (un temps). Pourquoi viens-tu ici tout le temps ?
(…)
Henry (hors de lui) – Des bruits durs, il me faut des bruits durs ! Secs ! Comme ça ! (il ramasse deux cailloux et les cogne l’un contre l’autre) ? De la pierre ! (choc de deux cailloux). De la pierre ! (…) C’est ça la vie ! (…) pas cette succion.
(…)
Ada – ce n’est qu’en surface tu sais. Dessous c’est calme comme dans la tombe. Pas un bruit. Toute la journée, toute la nuit, pas un bruit.

Le triptyque, les trois images en lien avec les textes de Beckett de ces années là. Le temps qui passe, ce qui reste et que l’on sentira, re-sentira jusqu’au dernier jour. Ce que l’on enregistre afin qu’il reste quelque chose. Mais non rien ne passe. Et le bruits des galets qui roulent dans les vagues, suintement trop doux pour briser la mémoire (ineffaçable et introuvable – prise sur le vif elle manque ce que fut le présent, trace.) Alors est-ce que tout cela a un sens ? Une suite d’images désordonnées ? De fragments de souvenirs. Père, mère mort ou revenant. Aveugle ne vivant que dans les livres et la remémoration encore comme l’incessant mouvement des vagues.

Cette petite tombe que nous allions visiter chaque année.
L’image est préexistante ; elle ne peux être que reproduite.

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