Mon oncle

La maison de Mon Oncle – huile sur toile – 80 x 100 cm

Construction d’un grand ensemble immobilier – bruit de grues et de marteaux piqueurs…
Saint-Maur des fossés, vieux, sali, délabré, des chiens errants, un teckel habillé d’un chic écossais fouille les poubelles. Un biffin en charrette longe les nouveaux ensembles, jusqu’à une maison ultramoderne, le teckel s’infiltre sous la grille laissant ses camarades de rue à la porte. Son état désole Madame qui fait le ménage, qui s’occupe de Monsieur en costume gris, café, cigarette, costume bien mis ; chapeau ajusté, gant, attaché-case bien essuyé. Madame va ouvrir la grille pour que Monsieur sorte avec la voiture, aide la gamin en uniforme d’école à monter à l’intérieur, époussette le pare-choc et salut sa famille du chiffon dont s’échappe la poussière.
Embouteillage moderne jusqu’à l’usine. On retrouve l’éboueur en contraste, qui roule jusqu’au village. Le village et le charretier semble vivre encore comme au début du XXe siècle. C’est jour de marché, apparaît Monsieur Hulot à l’étal du poissonnier… Il est à deux pas de l’immeuble dans lequel il habite, il lui faut monter tout là-haut sous les toits pour trouver son logis. plan-séquence mémorable où la silhouette de Hulot qui grimpe jusqu’à sa mansarde apparaît aux fenêtres successives des étages de l’immeuble. Poésie de l’enfance de l’oncle Hulot face à l’absurdité du monde moderne tout équipé. puis un plan serré sur le dernier étage.

Hulot dans la scène suivante va chercher son neveu à l’école parmi les garnements. Il change de monde en traversant un mur de briques et pierres effondrées, il bute sur une brique, il la remet en place…
Il vient chercher son neveu pour le reconduire à la villa de ses parents, de sa sœur à Hulot, mariée à M. Arpel, l’industriel. Petite visite de la maison d’architecte équipée des touts nouveaux gadgets technologiques. Le portail est automatique, la porte du garage s’ouvrira bientôt au passage de la nouvelle auto. Cadeau d’anniversaire de mariage. La cuisine est nucléaire, « c’est si pratique tout communique… comme vous le voyez tout communique… »
Le gamin s’ennuie chez ses parents pourtant bien lotis… tandis qu’avec son oncle… Ah non.
Ça ne plaît pas du tout à Charles Arpel :
– S’il ne se plait pas ici il n’a qu’à le dire Enfin tout de même cette maison qui est-ce qui la faîte c’est bien moi non, les études, l’habillement allons-y c’est toujours moi quelqu’un voudrait peut-être prendre ma place faut pas s’géner pourquoi pas Allez Allez donc j’en ai assez non non et NON! Son oncle son oncle ce n’est tout de même pas un exemple, loin de là, jusqu’à preuve du contraire c’est pas brillant hein !
– Charles voyons ne te met pas en colère comme ça… Ce qui manque à mon frère c’est un but, c’est un un foyer, c’est tout ça…
Mon Oncle, film de Jacques Tati sort en 1958, il recevra un Oscar du meilleur film étranger, dans sa version anglaise.
Jacques Taticheff est le petit-fils d’un comte, général de l’Armée Russe et d’une française, du côté de son père. D’une italienne et d’un encadreur néerlandais du côté de sa mère, un des plus réputés encadreurs de Paris, Van Hoof, dont les ateliers sont situés près de la place Vendôme. Son père devient directeur de l’entreprise d’encadrement. Vingt-cinq employés, quelques belles réussites en bourse. Le capital de la famille est plutôt élevé. Jacques connaît une enfance bourgeoise. Un maison à saint-Germain en Laye, un parc, des domestiques, du tennis, de l’équitation… Les vacances à Deauville ou au Touquet.
Jacques rate ses études, s’ennuie dans l’entreprise paternelle. Alors Théâtre, Music-Hall.
Tati c’est l’oncle et le gamin. S’il est l’oncle, s’il est Monsieur Hulot, sa sœur a plutôt bien réussit (elle a fait un beau mariage). Mais, il est le gamin qui s’ennuie.
Tati gardera pourtant cet esprit capitalistique, il deviendra producteur, dépensera des budgets pharamineux en plateaux, en studio, (alors que le cinéma des gamins de son époque se fait avec de petits moyens, dans la rue). Tati finira par ruiner ses studios.
«Avec [Tati], écrit Godard -un autre gosse plutôt privilégié-, le néo-réalisme français est né. [Il] est devenu en deux films, le meilleur metteur en scène comique français depuis Max Linder ». Mais Godard a noté juste avant :
« Une conversation avec lui est impossible. C’est l’anti-théoricien par excellence. Ses films sont bons en dépit de ses idées. »
Les Cahiers du cinéma, 71, mai 1957, repris in Jean-Luc Godard, Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, Paris, Cahiers du cinéma-Éd. de l’Étoile, 1985, p. 101.
Truffaut écrit, en 1957 :« Je ne crois pas aux bons ou aux mauvais films, je crois aux bons ou aux mauvais metteurs en scène. […] Je suis donc partisan de juger, lorsqu’il s’agit de juger, non des films mais des cinéastes. Je n’aimerai jamais un Delannoy, j’aimerai toujours un film de Renoir . »
Arts, 15 mai 1957, repris dans François Truffaut, Le Plaisir des yeux, Paris, Flammarion, coll. « Champs/Contrechamps », 1987, p. 234-249
et puis ces propos qui font date et qui tendent à le placer comme un naïf progressiste face à la technique au service du petit-bourgeois :
« Mon oncle pourra satisfaire les gens qui ne se dérangent que pour voir des films de Tati ; il en existe. Mon grand-père par exemple n’allait voir que les films de Charlie Chaplin. Mon oncle est un film-hymne à la lenteur de vivre et, partant, à la lenteur d’esprit […]. Le comique de Tati est un comique de pure observation : celle de la vie passée (Saint-Maur) et celle de la vie future (l’usine, la maison des Arpel). S’il est facile de nous faire rire de nos manies passées ou présentes, il est malaisé de nous faire rire de nos manières futures, c’est-à-dire de celles dont nous serons victimes lorsque tous les Français seront bien logés. C’est par là que Mon oncle est un film réactionnaire . »
Arts, 21 mai 1958, repris in F. Truffaut, Les Films de ma vie, Paris, Flammarion, coll.
« Champs/Contre-champs », 1987, p. 257-259.

Le sort des mal-logés préoccupe Truffaut, mais afin que le peuple entier vive dans des villas. La modernité est démocratique et réduira les inégalités.
On lit dans sa correspondance qu’il trouvait Tati « laborieux », un autre clivage, autre que riche et pauvre, sépare les acteurs comiques ou non, les techniciens, les scénaristes, les hommes de métier, de la spontanéité des Auteurs de la Nouvelle Vague.
« Paris nous appartient de Rivette, Le Beau Serge de Chabrol, À bout de souffle de Godard, Adieu Philippine de Jacques Rozier comme la plupart de ceux identifiés à la Nouvelle Vague, tournés au même moment que Mon oncle, à la fin des années 1950, procèdent d’un autre rapport à la technique : budgets réduits, tournages rapides, souvent improvisés, désinvolture ostentatoire à l’encontre de l’équipe des techniciens ou des acteurs, raccords non conformes aux règles classiques du montage, inventions techniques singulières, identification des acteurs, etc. Il s’agit pour eux en tant qu’auteurs, selon le mot de Guitry, que Truffaut admire, de « remettre la technique à sa place ». Le problème de Tati aura été, du moins du point de vue du cinéma d’auteur, de n’avoir su situer cette place au bon endroit. » Philippe Mary
On connaît l’enfance de François Truffaut, né de Père inconnu, son côté fugueur qu’il retranscrit dans les films de l’enfance d’Antoine Doisnel. Premier court métrage Les mistons… puis Les 400 coups.
Doisnel aurait-il pu faire des farces avec les gosses et le petit Arpel dans les terrains vagues de Saint-Maur ? Non, il serait plutôt allé resquiller au cinéma et draguer les filles.