mains de… Pickpocket
Un cinéma, boulevard Richard Lenoir. Un après-midi des années deux-mille. Ennui, peut-être, dérive plutôt (Debord – Les lèvres nues 1955 – L’Internationnale Situationniste 1958). Proposition : Aller dans un quartier de Paris, entrer dans un cinéma au hasard, avec un peu de chance le film vous emmènera dans un autre lieux où vous fera déambuler dans un périmètre donné ; Ainsi plongé dans le noir, le quartier de Paris se mêlera à celui du film, et se déploiera une possibilité d’échappée qui une fois sortit de la séance vous permettra de continuer votre dérive dans un paysage modifié, enrichi… On joue un film de Bresson. Bresson ? J’en ai entendu parlé, Robert, c’est le prénom de mon père. Un prénom d’une autre génération ; C’est une référence du cinéma. On m’en parlait comme de quelque chose de chiant. Je suis entré dans ce cinéma. Choc. Devant ce format d’image 4/3 qui n’avait plus court et la beauté de ce noir et blanc, le ballet incessant des mains en gros plan effectuant leur larcin. L’histoire, la théorie – le vol qui ne conduirait pas à la condamnation mais à une sorte d’innocence ; inspirée de Dostoïevski m’est un peu passée par dessus la tête, tirée par les cheveux… non, il s’agissait d’un choc visuel.
Au moment de la sortie de Pickpocket, Bresson se dit persuadé que « le grand public est prêt à sentir avant de comprendre ».
Sans doute plus que l’histoire elle-même et les état d’âmes ; le questionnement métaphysique du personnage principal, c’est a sa déambulation, les longues marches en plan-séquence dans Paris, le Paris nocturne des bars, celui des gares en plein jour, auxquels je m’identifiais, celui romantique d’une chambre de bonne emplie de livres. Une mansarde bohème.
la jeunesse attablée au café la nuit. (situations)
Le Chef op est Léonce-Henri Burel, en 1959 c’est déjà un homme âgé, il a 67 ans. Et outre les films de Bresson il a eut un nombre considérable de collaborations en tant que chef opérateur (j’aime bien le terme de directeur de la photographie).
Le scénario et la réalisation sont de Robert Bresson.
Bresson tourne avec des « modèles », non-professionnels qu’il martyrise leur faisant répéter la scène à jouer de nombreuses fois, afin qu’ils perdent tout vernis théâtral (il leur interdit de jouer à jamais dans d’autres films). Pour Bresson, tout passe par le corps, les regards, la voix de ses modèles (et non acteurs) qu’il épuise dans la répétition innombrable des prises afin qu’ils révèlent ce qu’ils sont, hors de tout jeu théâtral.
Michel (Martin LaSalle) le pickpocket apprend les technique de manipulation du vol auprès d’un complice. Le complice c’est Kassagi
wiki : Henri Kassagi, de son vrai nom Abdelmaǧīd al-Qaṣʿaǧī à Halfaouine, un quartier de Tunis. À l’âge de 12 ans il assiste à un tour de magie et, à cet instant il connaît sa vocation. Mais il a déjà entraîné la dextérité de ses mains en étant pickpocket dans les rues de Tunis. Au début des années 1950, il quitte la Tunisie pour Paris. Il continue à gagner sa vie comme pickpocket. Ainsi il fait la connaissance de Robert Bresson, qui lui donne le poste de conseiller technique pour parfaire les gestes des voleurs dans le film Pickpocket. Kassagi y fait même une apparition dans le rôle du premier complice.
Les années suivantes, il se fait un nom dans le monde du spectacle de magie et de la prestidigitation en France comme dans le monde.
Dans l’arrière-salle d’un café, Kassagi initie Michel, à la technique de subtilisation des montres et portefeuilles, à la souplesses des doigts. (prestidigitation – les doigts prestes). Un scène remarquable. (reprise dans la bande annonce la scène où Michel fait tourner une pièce de monnaie entre ses doigts ne dure que quelques secondes )
à 24mn 11 ; fondu enchaîné, on aperçoit la table et les mains. 24mn 12 fin du fondu, Michel fait « craquer » ses mains contre l’angle de la table, jusqu’à 15, il s’assouplit les doigts en croisant les mains, les étirant, les fait « craquer », encore une fois, se saisit de la pièce posée sur la table, la fait tourner entre ses doigts, repose la pièce, se saisit de la tasse de café (entièrement vide?), à 24, la porte à sa bouche à 25.
Le plan fixe, obligerait le peintre à reproduire la tasse de café XXX fois, au même endroit sur la toile, identique (les simples détails changeant seraient l’influence des ombres que la main porte sur la tasse). J’entends les peintres hyper-réaliste glousser et se dire qu’il y aurait bien des technique de reproduction de l’image sur la toile pour guider la peinture… mais ceci reviendrait à faire du cinéma… peindre d’un geste de la main sûr et maitriser la « même image » X fois serait plus proche du jeu d’ acteur… je n’ai finalement sélectionné que quatre images évoquant la manipulation, le mouvement. (et « seulement » 4 tasses de café). Les deux autres images de la série montrent, pour la première, la main de Kassagi qui montre comment subtiliser un porte-feuille (sur la personne de Michel) et Michel froissant les Pascal qu’il vient de subtiliser à un type dans le métro.). La main de michel «l’apprenti » est une main de pianiste au doigt fins et longs ; la main de Kassagi, le pro, plus petite, plus reliée (le contraire de déliée).
Un autre projet d’image serait la sortie du métro (une affiche d’un film apparaît ; « Une vie » d’Astruc d’après Maupassant, 1958 sortit pendant le tournage de Pickpocket, financé par la même productrice : Agnès Delahaie (née Alice Jeanclaude, également nommée Annie Dorfmann, ou Anny Jeanclaude).).
Bresson était peintre avant de faire du cinématographe, « portraitiste avant de devenir cinéaste (« le cinématographe ») Il cite à volonté Cézanne : « À chaque touche, je risque ma vie. »
Faire comme Cézanne en se déplaçant de l’exercice du pinceau à celui du montage.
Pierre Charbonnier, le décorateur est peintre. Il peint des espaces vides de présence humaine (cf les mur, la porte de la chambre de bonne de Michel…)
Charbonnier est d’abord peintre avant d’être décorateur ; à part sa fidélité à Bresson (six films ensemble) il travaillera pour très peu d’autres films, et s’essaiera lui-même à la réalisation dans les années 30 avec différents projets documentaires et d’avant-garde. Il ne cesse de peindre tout en travaillant pour le cinéma ; ses sujets sont des intérieurs ou des vues urbaines, vides de toute présence humaine, dans des manières qui peuvent rappeler à la fois la « peinture métaphysique » de Giorgio de Chirico et le réalisme naïf du Douanier Rousseau. Les grandes profondeurs de ses sujets sont souvent déjouées par un aplatissement des tonalités et une géométrisation des lignes, ou par des jeux excessifs de perspectives contradictoires. Les points communs avec l’imagerie bressonnienne sont évidents : les intérieurs nus, la rigueur ou la « violence des choses », l’état suspendu de la population absente de la ville. Dans Pickpocket, c’est le travail des matières des murs dans la chambre de Michel, les contrastes doux du poussiéreux et du brillant, la constance des géométries dans les objets les plus simples : fenêtres, chaises, livres, portefeuilles. En 1958, peu avant le tournage de Pickpocket, Bresson écrivait dans un catalogue d’exposition de son ami : « Ces objets, ces choses (auxquelles tu n’empruntes ni ta grandeur ni ton originalité) qui remplissent tes toiles, ne parlent pas. On dirait qu’elles écoutent. Il y a un suspens. Elles nous remettent dans notre solitude. »14
Robert Bresson cité in Pierre Gabaston, op.cit. Le livre de Gabaston consacre plusieurs pages à Pierre Charbonnier, ainsi qu’un petit ensemble surprenant de comparaisons entre des toiles de Matisse, Malévitch, Braque… et des photogrammes de Pickpocket.
La lumière a tendance à neutraliser les contrastes et les reliefs au sein d’une même matière : En apparence très égalisé, l’un des effets du noir et blanc travaillé par le chef opérateur Léonce-Henry Burel Son style de photographie est reconnu pour la richesse de ses nuances de gris, résistant autant aux forts contrastes expressionnistes qu’aux clairs-obscurs du « réalisme poétique » français. Ces qualités, déjà présentes dans ses deux précédents films avec Bresson (Le Journal… et Un Condamné…) sont ici poussées à de plus fortes expressions par le contexte urbain du film, l’uniformité des costumes, l’égalisation des silhouettes. C’est là qu’intervient le travail de Pierre Charbonnier, lui aussi présent sur les deux précédents films de Bresson.
(in Dossier pédagogique CNC)

Finalement, c’est une scène de gare que je choisis pour compléter la séquence.
La gare de Lyon, dans le train qui va partir, pour Milan avec Michel. On suit Michel sortir de sa chambre, héler puis rentrer dans un taxi, traverser la gare. Michel est sorti du cadre…
Dans le plan qui montre l’accès au quai, une publicité pour Juan-les-pins, Antibes, apparaissent successivement ou fixement des voyageurs. Les femmes sont jeunes, bien habillées, jupe, tailleur, chemisier, coiffure à la mode, souliers à talon. Elles partent seules vers le midi. une valise, un sac à main, elle rentrent chez elle ou s’en vont pour quelques jours de vacances. Pour la plus âgée, ce sera plus long, elle a fait appel à un porteur pour convoyer ses nombreux bagages. Des hommes discutent en attendant le départ. Un soldat, passent les derniers moments avec sa fiancée, on (sa mère) lui préparé un carton avec quelques victuailles pour que le dejbel ne paraisse pas si lointain… c’est la France oui mais c’est bien différent…
« tourner à l’improviste, avec des modèles inconnus, dans des lieux imprévus propres à me maintenir dans un état tendu d’alerte. »
Notes sur le cinématographe 1950-1958 (Gallimard 1975) : P ; 36
Bresson : notes sur le cinématographe (qui est l’art propre aux images animés et aux sons qui les accompagnent – une caméra + un magnéto), cet art nouveau, différent, du théâtre, de la photo…
Il note ses pensées, et c’est souvent la peinture qu’il convoque.
« Que ce soit l’union intime des images qui les charge d’émotion. »
Attraper des instants, spontanéité, fraicheur. »
Comment se dissimuler que tout finit sur un rectangle de toile blanche suspendu à un mur , (vois ton film comme une surface à couvrir.)
P. 69 :
Rythmes.
La toute puissance des rythmes.
N’est durable que ce qui est pris dans des rythmes. Plier le fond et la forme et le sens aux rythmes.
P.72 :
Ton film n’est pas tout fait. Il se fait au fur et à mesure sous le regard. Images et sons en état d’attente et de réserve.
P.90
Vois ton film comme une combinaison de lignes et de volumes en mouvement en dehors de ce qu’il figure et signifie.
P. 111
Il est profitable que ce que tu trouves ne soit pas ce que tu attendais. Intrigué, excité par l’inattendu.
1960-1974
P.119
La beauté de ton film ne sera pas dans les images (cartepostalisme) mais dans l’ineffable qu’elles dégageront.
P.133
Les choses que nous réussissons par chance, quel pouvoir elles ont !







