Sur la route
Mains d’écrivains – Kérouac – Huile sur toile – 20 x 20 cm
En 1957 paraît Sur la Route de Jack Kerouac. C’est le récit de ses errances d’Est en Ouest puis vers le Sud. NewYork,, Denvers, Algiers, Chigago… jusqu’au Mexique au alentour de 1947. Ecrit à toute allure sur un rouleau de papier en trois semaines, le texte est une rafale de machine à écrire sans paragraphes, sans tabous. Il ne sera pas publié tel quel. La légende raconte que le roman a été écrit d’une traite en trois semaines d’avril 1951, sur un long rouleau de papier glissé dans la machine à écrire. On sait et on oubliera (car cela colle moins avec la littérature de l’instant tel que l’on qualifie la prose de Kerouac) qu’il a accumulé des notes, des premiers jets, depuis plusieurs années. On dira que le rouleau original n’était pas ponctué, c’est faux. Il y a bien cinq parties (cinq livres) comme dans le roman publié mais un seul paragraphe. La légende dit aussi que Kerouac a écrit sous l’effet de la Benzédrine (c’est à dire Amphétamine) alors qu’il écrit à Neal Cassady : « J’ai écrit ce livre sous l’emprise du CAFÉ, rappelle toi mon principe : ni benzédrine ni herbe, rien ne vaut le café pour doper le mental. »
Le rouleau ne sera pas publié et Kerouac dont la légende dit qu’il n’a pas voulu qu’on modifie son texte, va le remanier lui-même ; et être influencé par la lecture de ses amis, des éditeurs, des juristes. Auto-censure ou censure tout court, censure avec le consentement de l’auteur, parce que celui-ci désespère de voir son roman publié. Toujours est-il que sur le texte publié, on a changé les noms des protagonistes afin d’éviter les procès en diffamation ; Les noms de ses camarades de la Beat Generation notés tels quels dans le rouleau sont modifiés dans le texte publié. Allen Ginsberg pédé lyrique sous amphé, truand mélancolique de la poésie, son univers fou, louche, carrément bizarre, William Burrough paranonoäque et morphinomane, Neal Cassady grand allumé, baiseur, voleur de voiture et as du volant, une sorte de beauf déglingué qui cherche son clochard de père. « Les furieux de la vie, les furieux du verbe » La première édition gomme le caractère sexuel de la relation entre Neal Cassady et Allen Ginsberg, de la sexualité libre des filles somme toute plus égalitaire d’avec celle des hommes, coupe nombre phrases en deux, ajoute des « milliers de virgules inutiles » Le flot de la phrase spontanée « comme un sax ténor qui inspirerait un bon coup, et jouerait sa phrase jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’air dans ses poumons » est interrompu.
La censure brise la phrase afin de mettre de l’ordre. C’est cette image de la vie dans sa pulsion même, qu’empêche l’ordre, la morale, l’habitude, la tranquillité. Définition de la censure : ce qui est chargé de canaliser les pulsions vitales afin d’éviter le désordre. (sociétal, politique ou mental) (La poésie nuit à la santé). Le style de Kerouac dans le rouleau est une phrase à 160 km/h et les images abondent puis disparaissent submergées par d’autres. La bande son du livre est Jazz (la “pulse”, le “it”), Duke Ellington, Charlie Parker, Thelonious Monk, Miles Davis, Georges Shearing. La contre-culture pop emmènera dans son sac à dos le livre de Kerouac, la bande son ne sera plus la même.
(toutes les précisions sur le processus de création de Sur la route proviennent de la préface à « sur la Route, le rouleau original » de Howars Cunnell « A toute allure » et de Penny Vlagopoulos « réécrire l’Amérique » Folio n°5388 )
P. 515 de l’édition de poche. L’auteur prend le tram que Destouches et Robinson ont pris lors du voyage à New-York. « Ce Robinson qui n’est peut-être que Céline lui même » (en 1957 Céline publie « D’un Chateau L’Autre » Kerouac en sait-il quelque chose ?). Il pense au dédoublement d’avec son frère de route Neal le cinglé. Kerouac mystique attend des signes. Un signe, une image qui furtivement devrait nous conduire à une vérité transcendantale ? Non rien, le style (de l’instant, parlé, à vif) n’offre rien que le style. Revoilà donc Céline. Difficile de se débarrasser de celui-là.
Pierre NADEAU s’entretient avec Jack KEROUAC en 1959 pour Radio-Canada. En français. Il est bourré Jack et il fume. Ses mains virevoltent, sont insaisissables. Des grands écrivains ? Céline, Genet… et puis Ginsberg, Burrough, Corso… mais Sartre, Camus, Mauriac, Gide… pfuu… les grands écrivains ils gagnent jamais les grands prix. Ils donneront jamais le grand prix à Céline, et à Genet et à Burroughs.
– et à Kerouac ?
– Oh oui, muche populair… mais quand il m’offre le prix Nobel, Nobel Prize, quand j’ai cinquante ans, s’il l’ont pas encore donné à Louis-Ferdinand Céline, si Céline est encore en vie, je le donne à mon maître.