Jonas

Avant dernière nouvelle du recueil de Camus, l’Exil et le Royaume paru en 1957 : « Jonas, ou l’artiste au travail ».
« Gilbert Jonas artiste-peintre, croyait en son étoile.Il ne croyait d’ailleurs qu’en elle, bien qu’il se sentit du respect, et même une sorte d’admiration, devant la religion des autres. »  (première phrase de la nouvelle.) Il faut dire que Jonas a de la chance, il est le fils du premier éditeur de France,
(«  L’histoire montre disait-il, que moins on lit, plus on achète de livres. Partant, il ne lisait que rarement les manuscrits qu’on lui soumettait, ne se décidait à les publier que sur la personnalité de l’auteur ou l’actualité de son sujet (de ce point de vue, le seul sujet toujours actuel étant le sexe, l’éditeur avait fini par se spécialiser) et s’occupait de trouver des présentations curieuses et de la publicité gratuite »). Jonas né de parents qui le laisse à sa rêverie d’abord puis qui divorcent pour sa plus grande chance « ses parents ayant lu ou appris, qu’on pouvait citer plusieurs cas de meurtriers sadiques, issus de parents divorcés, rivalisèrent de gâteries pour étouffer dans l’œuf les germes d’une aussi fâcheuse évolution ». (à noter que c’est suite à un adultère que le père de Jonas se sépare de sa femme. Elle trompe son mari  avec les pauvres (« véritable sainte laïque, sans y voir malice, elle avait fait don de sa personne à l’humanité souffrante » ). Dans la première nouvelle du recueil,  « La femme adultère » trompe son médiocre mari non pas avec les hommes orgueilleux arabes ou militaires qu’elle croise mais avec les étoiles, l’horizon de la nuit, le désert.
Jonas a un ami, un frère, dévoué, Rateau l’architecte, une femme dévouée, Louise, qui gère tout de la vie matérielle et qui le laisse entièrement libre de peindre.
Le succès vient à Jonas, et un marchand de tableau lui propose une mensualité qui le délivre de tout soucis. Louise fabrique coup sur coup deux enfants, garçon et fille, ce qui va lui laisser moins de temps pour Jonas. « “Chacun son établi ” disait-elle ; expression dont Jonas se déclarait d’ailleurs enchanté, car il désirait comme tout les artistes de son époque passer pour un artisan » La famille s’installe dans un appartement réduit mais haut de plafond, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Ils mettent au monde un troisième enfant. Jonas va déplacer son chevalet d’une pièce à l’autre suivant les commodités de la vie familiale. Sa réplique à chaque fois est « c’est comme vous voudrez » (un peu comme le positif du « i will prefer not to » de Bartelby). Le succès amène les amis, des disciples qui lui expliquèrent ce qu’il avait peint. (« c’est vrai je suis allé assez loin (…) c’est l’étoile qui va loin, moi je reste près de Louise et des enfants. » Il y a toujours quelqu’un avec lui à l’atelier, Jonas n’est jamais seul, il doit écouter, donner son avis sur les travail des autres. « Sa réputation par chance grandissait d’autant plus qu’il travaillait moins. » On sollicite Jonas pour telle ou telle cause, il ne signe que les protestations qui « se déclaraient étrangères à tout esprit de parti. Mais toutes se déclaraient de cette belle indépendance. » De plus en plus de monde pour le distraire de son travail, de moins en moins de place pour travailler (il peint entre le lit et la fenêtre), et puis le jugement négatif remplace l’éloge, et les ventes baissent, la mensualité est réduite. Jonas ne peint plus, il sort, évite les quartiers d’artistes et « s’il ne sourit plus c’est qu’il est très content de lui », il boit, il découche. Et puis Jonas rentre au bercail, se construit un réduit, une soupente en installant un plancher à mi-hauteur des deux couloirs de son appartement. Une lampe à pétrole, une chaise, un tabouret, un cadre qu’il pose sur le tabouret. Jonas grimpe dans la soupente, s’exile, le monde extérieur s’éloigne. Rateau lui demande ça va ? – le mieux du monde – tu travailles ? C’est tout comme. – Mais tu n’as pas de toile ! – Je travaille quand-même. ». Il demande qu’on lui apporte une toile. Jonas ne mange plus, ne descend plus de la soupente. Sa famille ne le voit plus, Mais « il ne les quitte pas ».
Un matin de soleil, Jonas a retourné sa toile contre le mur. Epuisé, il était heureux, il ne travaillerait plus jamais. Les bruits du monde extérieur reviennent. Ceux de sa famille, il les aimait. Puis il s’effondre (il est exténué, il guérira). Sur la toile en petit caractère Jonas avait seulement écrit un mot qu’on pouvait déchiffrer mais dont on ne savait s’il fallait y lire solitaire ou solidaire.

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