Asiles (de jeunes)

Hervé Bazin – La Fin des asiles – Grasset 1959

« Afin de ne pas être mal à l’aise, disons-le tout de suite : je ne suis pas un spécialiste des questions mentales.

Je ne suis qu’un écrivain dont un roman  La Tête contre les murs, raconte une carrière typique de déséquilibré dans le vieux système asilaire. J’ai également fait, en 1955 à travers la France une grande enquête sur les progrès de la Psychiatrie et je viens de faire dans le même but le tour de l’Europe pour le compte de France-Soir et de l’Organisation Mondiale de la Santé. Cependant l’intérêt que je porte à ces problèmes a des raisons profondes qu’il serait stupide de cacher. Ancien malade moi-même, je me souviens. Avant de connaitre les choses de l’extérieur, je les ai connues de l’intérieur. J’en ai gardé une pitié indicible pour ceux qui ne sont pas sortis de cette nuit, de cette mort vivante où, je vous assure, c’est une terrible expérience que d’être enseveli.

Pour un aliéniste le mot fou est interdit.

Selon le contenu des aberrations, on en distingue ainsi plusieurs familles, qui correspondent à un certain nombre de types de réactions. Qu’est-ce qu’un homme, en effet ? C’est un organisme double, corps-esprit, dont l’existence est une incessante adaptation à son milieu, c’est un être qui est à lui-même un perpétuel problème.

L’aliéné (de alien, l’étranger) est un homme qui ne peut résoudre ce problème et qui, inconsciemment, refuse ou masque son échec. Simplifions les choses et disons qu’ en gros on peut trouver les attitude suivantes :

1 – Le malade est hors d’état de se poser aucun problème. C’est le monde de l’idiotie ou celui de certains commotionnés après un accident.

2 – Le malade renonce à se poser son problème. Il se réfugie dans le chaos de la démence, de la confusion. Je connais un jeune professeur qui, après avoir raté l’agrégation, s’y est enfoncé. II ne sait plus ni qui ni où il est, il a oublié le nom des gens, il vit dans une espèce de rêve incohérent, profère des mots sans suite, confond les couleurs, les sons, le goût des choses (je l’ai vu, un jour, qui préparait soigneusement une vinaigrette… où, il jeta ses fraises, tandis qu’il se mettait à sucrer la salade). Ce refus peut aussi conduire à la schizophrénie, détérioration lente, souvent précoce, de la personnalité qui se replie sur elle- même, s’enferme dans un monde clos, impénétrable, parfois même dans l’immobilité.

3 – Le malade se débat, au contraire, contre son problème sans lui trouver de solution. C’est le monde du désespoir où sombrent les anxieux (le suicide est trop souvent la porte de sortie).

4 – Le malade impute son échec à autrui. C’est le monde, (dangereux) de la persécution, de la revendication. Mystique, jalousie, érotisme, haine, en varient beaucoup les thèmes. Mais l’idée fixe est une règle. Tout lui est preuve, lui permet d’établir des relations grotesques de cause à effet. «  Le voisin sort de la pharmacie, donc il est allé acheter de la drogue pour m’empoisonner. D’ailleurs il porte un costume noir, c’est pour suivre mon deuil. » Je n’invente pas le raisonnement, j’ai vu l’homme qui l’a tenu et qui estime encore qu’en étranglant le voisin il a agi en état de « légitime défense».

5 – Le malade refuse l’état social. C’est le monde des psychopathes, des demi-fous, déséquilibrés, réfractaires, pervers instinctifs, qui semblent lucides, mais dont l’existence entière est un long tissu de sottises, de rébellions, de délits, d’inspiration morbide.

6 – Le malade s’invente une réussite. C’est le monde des délires de grandeur. « Moi, un raté ? Quelle blague ! Je suis Mussolini. » Ces délires, du reste, sont curieusement sensibles aux circonstances locales, à l’évolution des mœurs à la publicité. Napoléon ne fait plus recette. Je ne connais qu’un seul Dieu, à Villejuif. Mais l’actrice (dans la peau de quelque haridelle) et le champion (souvent un petit nabot) se multiplient .

7 – Le malade, enfin, se réfugie dans un paradis artificiel. C’est le monde de l’ alcool et des drogues.

1958. Tiré du roman de Bazin « La tête contre les murs » de Georges Franju est un film sur la psychiatrie, l’enfermement, la tentative d’évasion. On est enfermé à l’asile parce qu’on est malade ou bien parce que la société, la famille vous a fait enfermé pour se protéger (vous protéger de vous même). François Gérane, passe sa vie de Sur-boum en conquête. Le jeune homme s’est fait enfermé parce qu’il a volé son père, un avocat établit, pour tenter de rembourser ses dettes de jeux. Il brûle lors de son larcin les dossiers qu’il trouve sur le bureau de son père, dossier qu’il est interdit de ramener à la maison (il le déshonore), puis il le gifle lorsque celui-ci le surprend. On apprendra que sa mère s’est noyée dans de troubles circonstances. François avait 8 ans… une dispute, entre elle et son père. « quelquefois elle pleurait lorsqu’il lui serrait le bras, elle pleurait quand il lui parlait. Son père a dit qu’elle est tombée dans l’étang et qu’elle était seule « mais ça c’est pas vrai ».

Un film sur l’oppression familiale :

Le père : « Je me rappelle quand le soir je t’initiais au secret de mon métier. Tu n’écoutais jamais. Brusquement tu te levais. Une fille t’attendais quelque part. »

Francois : «  Je me souviens aussi, tu plaidais partie civile en cours d’assise. Ton talent obtenait la tête de l’accusé. Mais le soir même avec une passion égale tu m’exposait les arguments qui lui aurait sauvé la vie. »

Le père «  La société mon petit est essentiellement un jeu. Mais encore faut-il savoir le jouer. Je ne demandais qu’à t’apprendre. Tu n’as pas voulu. Tu ne m’a jamais compris. »

François : « C’est vrai. »

Deux médecins, deux médecines psychiatriques, s’opposent, un qui défend la tradition sécuritaire de l’asile, l’autre qui cherche une nouvelle méthode en milieux ouvert (thérapie par la création, le modelage !)

« J’ai une charge précise : défendre la société avec les moyens du bord.

«  La police est là pour çà.Vous n’êtes pas obsédé par les 120 000 malades mentaux hospitalisés en France qui pourrait être guérit si on faisait pour eux le dixième de ce que l’on fait pour les tuberculeux. Si je ne les guérit pas tous, je n’en fabrique pas de nouveaux. Essayons au moins de les délivrer de la peur.

« Tous les jours des aliénés qu’on a libérés trop tôt, violent, tuent ou foutent le feu. »

« Tous les jours il en meure dans les asiles. C’est vrai s’il y a un risque à prendre, je préfère les libérer incomplètement guérit plutôt que de les tuer en ne les libérant pas. »

« En somme vous pourvoyez le monde en criminel. Mieux que ça, vous êtes vous même un criminel par procuration »

« C’est en quoi nous différons, vous n’avez pas besoin d’intermédiaire. »

Quelque chose semble se mettre en marche en France pour les conditions d’enfermement. La Circulaire du 4 février 1958 : Organisation et rémunération du travail thérapeutique : ateliers médicaux, pécule et fonds de solidarité. Associations et clubs thérapeutiques.

Un planqué dit à François : « T’es pas malade toi ?

– non

– Planqué ? Si tu sort… » Il fait glisser un doigt sur sa gorge.

[On échappe aussi à la mort, au risque de la mort (à la guerre… ?) en se faisant passer pour fou.]

Jean-Luc Godard a fait l’éloge du film dans les Cahiers du cinéma n°90,‎ 1958 : « La tête contre les murs est un film de fou sur les fous. C’est donc un film d’une beauté folle. »
Distribution :
Pierre Brasseur :  Varmont
Paul Meurisse :  Emery
Jean-Pierre Mocky : François Gérane
Anouk Aimée : Stéphanie
Charles Aznavour : Heurtevent

Dans Les Tricheurs de Carné (1958) : portrait d’une jeunesse sans espérance, oisiveté, sexualité libre, l’amour est un sentiment petit-bourgeois, « ridicule », il n’osent avouer qu’ils aiment, voilà pourquoi ils trichent.. Le XVIe arrondissement de Paris, c’est la banlieue, le quartier des riches conformismes, des parents, des « croulants ». La jeunesse vit en bande à Saint-Germain-des-Prés. On est Existentialiste. On pense au suicide… Ce qui fera dire au détracteurs du film de mettre en scène des personnages d’une période révolue (1945-1950).
Roger, Le frère de Mic, cette fille de milieu modeste qui se dit émancipée. (elle ne vit plus chez sa mère, fait l’amour comme bon lui semble, rêve de s’offrir une Jaguar, ne veux pas travailler pour cela), est un prolo. Il incarne le bon sens, il revient d’Indochine, travaille dans un garage. (« Aux ordres » ; « Pas le choix »). A sa petite amie qui est secrétaire dans le garage où il travaille :
– Line ça t’embête tellement toi de travailler ?
– j’peux pas dire qu’ça m’amuse mais je n’vois guère d’autre solution. On se console autrement. » il est d’abord opposé au comportement amoral de sa sœur, puis à la fin du film alors que celle-ci est mourante, elle vient de s’emplâtrer au volant de sa Jag contre un camion, elle ne s’en sortira pas. Il la comprend (et avec elle toute la génération qu’elle représente.)
Le chirurgien : Mais qu’est-ce qu’ils ont ces Gosses Bon Dieu ! Qu’est-ce qu’ils ont ?!
(Roger, le frère de Mic) : cinquante ans de pagaille derrière eux et sans doute autant devant. Pour des jeunes c’est lourd.
-Littérature. J’ai un fils moi qui a fait ses études et tout va très bien.
– Il est fort et les autres sont faibles. Vos malades, vous cherchez pas à savoir pourquoi ils le sont ?
– J’les défend pas mais c’est comme ça partout. Dois quand même il y avoir une raison.
– Refus d’la vie, refus de s’intégrer à la communauté, refus de suivre les exemples des ainés
– Pour ce qu’elle leur apporte la communauté, quant aux exemples qu’on leur à donné…
– Vous êtes d’extrême gauche ?
– Moi ?
– Ah pardon, j’avais cru comprendre.
– Non. Mais j’réalise aujourd’hui qu’j’avais p’tet jugé un peu vite.