Bob

Bob I – huile sur toile – 22 x 35 cm

Un après-midi comme on en fait en province. Rien ne se propose à vous. Je suis revenu dans la maison de mes parents, celle où j’ai passé toutes mes jeunes années. On revient en famille comme on revient en l’enfance. Les corps sont vieillis, les lieux restent les mêmes. Rien ne se propose que des réminiscences confuses qui semblent s’accrocher là, entre les murs, dans les pièces que l’on a beau dépoussiérer. On ne cherche pas, les images reviennent. On les ressent comme un souffle. Je ne sais pas pourquoi je suis monté au grenier, comme je le faisais gamin, sinon pour me retrouver seul et laisser libre court à un imaginaire d’objets surannées, d’objets inexpliqués. Dans une boîte, sous les vieux albums de photos, des photographies de mon père au service militaire. sur la boîte des dates et un lieu inscrits au feutre noir – mars 1957 – octobre 1959 : Beni Messous. Son service militaire en Algérie. Ce qui frappent tout d’abord, c’est que les copains de régiments adorent se portraiturer en tenue de défilé ou en maillot, traînant sous la tente, dans les camions pendant les opérations de transport de troupes, sur la plage pendant les permissions. Les photos ne montrent pas que la bataille d’Alger les inquiète.

Voit-on des gamins qui ignorent ce qui se passe réellement ? A l’époque en France, on ne regarde pas, on ne montre pas, ce qui se déroule de l’autre côté de la Méditerranée.
Censure ou volonté d’ignorance…
Je redescends la boîte, mon père est assis devant la télévision, il regarde un match de foot quelconque.
« Est-ce que je peux emporter cette boîte ?
« Hein ? » il sort de son assoupissement et jette un œil à la boîte.
« Surement pas » Il ricane. «  ce sont mes photos de régiments. »
« Je peux le scanner alors ? Les mettre sur mon ordinateur ?
« Si tu veux. »
Je ne sais pas vraiment ce que je vais faire de ces photos numérisées et pourquoi je passe dans le scanner celle-ci plutôt que celle-là.
Cette image que ma mère nous montrait en s’exclamant « regardez comme il est beau ! » montrait un type avec un air plein de fierté. Air orgueilleux du prestige de l’uniforme ou de porter une arme à feu. S’en était-il servie pour tuer ? C’est une part pesante du silence, la question que je ne poserai pas. Par peur d’une réponse affirmative ou de cet étrange rire qui semble renverser l’exagération de la question sur celui qui la pose. Cette arme, attribut phallique, qui le fait se tenir droit, qui le range parmi les hommes et qui me place, moi le réformé, comme le maillon manquant, à part, dans la chaîne des générations. Je n’ai Jamais utilisé une arme à feu, outil du malheur. Avec un peu de recul, on ne voit plus le pistolet mitrailleur, sur le tableau. Je force un peu les contrastes  pour qu’on le distingue mieux.

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