Liste II (Claude Simon)
Main d’écrivain Simon huile sur toile 20 x 20 cm
Claude Simon à propos de L’Herbe . Lectures pour tous – 29 Oct. 1958
Claude Simon, n’a pas l’air très détendu, il fronce les sourcils, jette des regards à droite à gauche, se mord un peu l’intérieur des joues. Il est accompagné par son éditeur, Jérome Lindon. Trois pour parler de ce livre ce n’est pas trop, comme l’avoue Pierre Dumayet qui a trouvé le livre un peu difficile. C’est en tout cas plus confortable pour Claude SImon. Il a les jambes croisés et ses mains attrapent son genou, son pied, puis se croisent…
– Je crois que c’est une chose d’Alain… euh.. le…
– Robbe-Grillet ? (Lindon cherche à l’aider)
– … Philosophe, non… Alain le philosophe qui décrivait déjà, qui parlait de l’esprit d’exactitude à propos de Balzac… n’est-ce pas… et c’est…heu…pas…que… per… personne encore dans la littérature n’a essayé de tirer le parti énorme d’une chose qui s’appellerait l’esprit d’exactitude.
– C’est une manifestation de l’esprit d’exactitude qu’est votre livre ?
Claude Simon secoue la tête. Oui ?
Ce texte est une tentative d’exprimer la simultanéité des évènements, de la mémoire, de l’histoire, des sensations dans la matière même de la phrase… Exprimé le plus complètement, scrupuleusement, ne rien inventer… l’esprit d’exactitude…
Lindon essaie de sauver les ventes. La livre n’est pas si difficile à lire, il n’est pas cérébral, il est concret…
En 1957 a paru Le Vent – tentative de restitution d’un retable baroque – de Claude Simon. (Faulkner vit encore dans son Mississippi (le territoire de Yoknapatawpha) – New Orleans Sketches sort en 1958, l’auteur va mourir en 1962) et Claude Simon emprunte un peu à sa voix et à sa phrase tentaculaire. Les premiers mots : « un idiot. Voilà tout. Et rien d’autre. » met tout lecteur familier du rythme Faulknérien (en Français) en éveil. Dès la deuxième page (P. 10 de l’édition de poche que j’ouvre alors– Minuit Double) le narrateur donne des précisions sur l’image introuvable. Et le siège sur lequel je suis assis me semble un coussin voyageur :
« connaissance fragmentaire, incomplète, faite d’une addition de brèves images, elles-mêmes incomplètement appréhendées par la vision, de paroles elles-mêmes mal saisies, de sensation elles-mêmes mal définies, et tout cela vague, plein de trous, de vides auxquels l’imagination et une approximative logique s’efforçaient de remédier par une suite de hasardeuses déductions – hasardeuses mais non pas fortement fausses, car ou tout est hasard et alors les mille et une versions, les mille et un visages d’une histoire sont aussi ou plutôt sont, constituent cette histoire, puisque telle elle est, fut, reste dans la conscience de ceux qui la vécurent, la souffrirent, l’endurèrent, s’en amusèrent, ou bien la réalité est douée d’une vie propre, superbe, indépendante de nos perceptions et par conséquent de notre connaissance et de notre appétit de logique – et alors essayer de la trouver, de la découvrir, de la débusquer, peut-être est-ce aussi vain, aussi décevant que ces jeux d’enfants, ces poupées gigognes d’Europe centrale emboîtées les unes dans les autres, chacune contenant, révélant une plus petite, jusqu’à quelque chose d’infime, de minuscule, insignifiant : rien du tout : et maintenant, maintenant que que tout est fini , tenter de rapporter, de reconstituer ce qui s’est passé, c’est un peu comme si on essayait de recoller les débris dispersés, incomplets d’un miroir, s’efforçant maladroitement de les réajuster, n’obtenant qu’un résultat incohérent, dérisoire, idiot, ou peut-être seul notre esprit, ou plutôt notre orgueil, nous enjoint sous peine de folie et en dépit de toute évidence de trouver à tout prix une suite logique de causes et d’effet là où tout ce que la raison parvient à voir, c’est cette errance, nous-mêmes ballotés de droite et de gauche, comme un bouchon à la dérive, sans direction, sans vue et essayant seulement de surnager et souffrant, et mourant pour finir, et c’est tout…) »
L’esprit d’exactitude face à cette confusion qu’est le réel.
Le personnage idiot – Antoine Montès- est photographe (Claude Simon lui-même fait des photos) ou tout du moins ne se dépare-t-il pas de son appareil de photo. Il est le fils d’une femme qui a quitté son mari alors qu’ils l’attendaient, – le père en attente de filiation, de lignée -, alors qu’elle venait de l’épouser et qu’elle vient de le surprendre culbutant la bonne dans le couloir. Elle vient d’ailleurs, elle s’en va avant qu’on la connaisse dans cette ville. Trente-cinq ans ont passés. Elle est morte. L’Idiot revient après la décès de son père dans un Sud balayé par le vent.
L’Idiot est photographe ? « peut-être ne voyant même pas, pas plus que l’appareil photographique lui-même ne voit, ne connait, n’est capable de se souvenir : sa rétine, oui, sa mémoire oui, aussi (parce que l’homme est sans doute autre chose que de la matière : peut-être pas beaucoup plus, mais quand même un petit quelque chose de plus, juste pour son malheur, car mieux vaudrait pour lui qu’il n’ait pas plus de capacité de souffrance qu’un appareil photographique, qu’on puisse à tout moment et aussi souvent que l’on voudrait enlever le couvercle, retirer la bobine impressionnée, la jeter et la remplacer par une vierge, et qu’il recommence à fonctionner, armement et déclic, avec la même mécanique et neuve indifférence), puisque bien plus tard elle (sa mémoire) pouvait tout restituer. » (P.62)
Montès ne s’installe pas dans la maison du père, mais il veut en congédier le régisseur, sa femme, et leur fille – juchée sur des talons de quinze centimètres, outrageusement maquillée, la poitrine provocante – qui vit chez le père de l’idiot, chez elle, avec son père à elle qui travaille, et la femme du métayer, en noire. Mais l’idiot se retrouve à la porte de chez lui, un procès sur le bras. Il s’installe dans un hôtel miteux, y fait la connaissance de Rose qui sert dans cet endroit, qui vit avec ses deux fillettes et qui fréquente un gitan. Un trouble histoire de bijoux volés, de recel. Il se prend d’affection pour les gamines, il les photographie. Il s’implique un peu dans le vol, pour Rose. Il pourrait bien coucher avec Rose…
Le cousin germain de son père, un gros bourgeois prendra contact avec lui, l’invitera à diner. Il y rencontrera ses deux filles, l’aînée, rangée, enceinte et la plus jeune, sauvage, au cheveux rouge, fille-garçon. Elle sont accompagnées toute les deux par un homme, respectivement un mari et un prétendant. La gamine viendra le relancer dans sa miteuse chambre d’hôtel, espiègle, personnage d’un roman de Sagan issu d’un milieu Balzacien.
Mais Montès ne dit rien, il a l’air étranger (innocent), à tout ça. A l’hôtel, il y a aussi ce gars grossier, représentant de commerce, Maurice, qui parle trop, qui saoule.
L’idiot, dans un éternel costume élimé, parle peu, ne finit pas ses phrases. C’est le narrateur qui à partir des bribes que lui a raconté l’idiot nous restitue l’histoire tragique, qui ne touchera (semble-t-il) finalement l’idiot que par le biais des fillettes.
Le narrateur est un prof de lycée qui prépare un ouvrage sur les chapelles romanes de la région. Il rencontre l’idiot chez le photographe, alors qu’il agrandit des photos pour son livre.
Les hommes de cette ville de province sont absents si ce n’est à leurs héritages, indifférents, distants (occupés socialement), les femmes subissent leurs assauts sexuels, pulsionnels comme la terre (« ce qui est la même chose » (P. 132) balayée par le vent et les envahisseurs successifs « fertilisant les hectares de fertiles cuisses ouvertes au vainqueur, comme pour lui dérober avec sa semence d’importation et par un procédé plus efficace que l’immolation et l’ingestion du guerrier ses forces vives ». Ils envahissent et fertilisent.
Le roman est la transposition (une tentative de transposition) d’un retable baroque. En grisaille, en obscurité. Retable (derrière la table) est un suite d’image nous narrant la vie, du Christ ou d’un Saint. (le Christ ? le père est un riche baiseur, abandonné… un saint ? En retrait). Baroque car tout en composition courbe et entortillée, la phrase.
P. 190 : Montès classe, liste : « Le genre humain réduit (réduit par lui, ramené, classifié, cloisonné tout entier) à une série de mythe, masculin et féminin se subdivisant d’abord dans le sens vertical: enfance, âge mûr, vieillesse (et de là peut-être ses photos, cette collection passionnée de visage de gosses, les lisses ébauches des futurs visages d’adultes, encore intacts, frais, laiteux ou grêlés de tâches de rousseur, ou brun foncé et lippus comme ceux qu’il avait trouvés ici, mais tous vierges, purs, sinon des barbares et primitifs instincts – cruauté, violence, possession – du moins de leur conscience et par conséquent du mal) et, dans l’autre sens, probablement en sortes de caste (prêtres, juges, soldats, marchands) jusqu’à ce que la totalité des êtres vivants soit enfin rangés en boîtes, étiquetés et numérotés, pourvus de fonction, de rôles précis – jusque sans doute et y compris voleurs et bourreaux – jusqu’à ce que le monde hasardeux et compliqué cesse de tournoyer sans trêve et sans bruit, s’organise, s’ordonne et s’immobilise enfin. »
Visionner les images, les classer, afin de palier au chaos. Peindre des corps, des visages classés suivant le premier principe féminin masculin. De la silhouette esquissée, jusqu’au marqueur des tissus qui les habillent, de ce qui les griment.
Des boîtes, des albums, pour les images du passé qu’on rassemble, qu’on archive par années, par catégories – anciens, enfants, fêtes, voyages. Les boîtes seront ouvertes occasionnellement, les photos regardées à nouveau, on se les passe, on se les repasse, « dans le temps… ».
La hiérarchie pour éviter le désordre, réduire, cloisonner. Et désormais cette manie de laisser les boîtes ouvertes, en ligne, disponibles à tout vent…
Pour le narrateur du roman « Le vent », le temps est un épais magma (p. 212). Le chaos mis en forme, le récit du temps qui passe. (toujours déjà au passé) « cette incohérence, cette juxtaposition brutale, apparemment absurde, de sensations, de visages, de paroles, d’actes. Comme un récit, des phrases dont la syntaxe, l’agencement ordonné – substantif, verbe, complément- seraient absents. Comme ce que devient n’importe quel article de journal (le terne, monotone et grisâtre alignement de menus caractères à quoi se réduit, aboutit toute l’agitation du monde) lorsque le regard tombe par hasard sur la feuille déchirée qui a servi à envelopper la botte de poireaux et qu’alors, par la magie de quelques lignes tronquées, incomplètes, la vie reprend sa superbe et altière indépendance, redevient ce foisonnement désordonné, sans commencement ni fin, ni ordre, les mots éclatant d’être de nouveau séparés, libérés de la syntaxe, de cette fade ordonnance, ce ciment, ce bouche-trou indifféremment apte à tous usage et que le rédacteur de service verse comme une sauce, une gluante béchamel pour relier, coller tant bien que mal ensemble, de façon à les rendre comestibles, les fragments éphémères et disparates de quelque chose d’aussi indigeste qu’une cartouche de dynamite ou une poignée de verre pilé : grâce à quoi (au grammairien, au rédacteur de service et à la philosophie rationaliste) chacun de nous peut avaler tous les matins, en même temps que les tartines de son petit-déjeuner, sa lénifiante ration de meurtres, de viols et de folie ordonnés de cause à effet, quitte, si cela ne le satisfait pas (et apparemment, et contrairement à ce qu’il pense, cela ne le satisfait pas), à recourir en supplément aux bons offices des esprits, du marc de café, des cierges bénis, des hommes providentiels ou de la camisole de force. » (P. 217)
En 1958, Claude Simon publie L’herbe avec en exergue une phrase de Pasternak (le docteur Jivago est paru en 1957 ; Pasternak deviendra prix Nobel en 1958) : « Personne ne fait l’histoire, on ne la voit pas, pas plus qu’on ne voit l’herbe pousser. »
L’Herbe poursuit la réflexion de Simon sur l’Histoire, on n’est pas dépaysé d’avec le Vent, (l’herbe tangue dans le vent) la Phrase semble reprendre là où elle s’était arrêtée (mais elle ne s’arrête jamais cette phrase, tout en détours, enchâssements, superpositions.) La voix qui parle est celle d’une femme, Louise. Louise est mariée à Georges qui joue et perd, elle entretient une relation avec un homme, son amant qui n’est qu’une ombre, une silhouette. « un ingénieur des pétroles » (P.129) Louise veut partir d’ici, il lui a promis… mais rien ne se passe. Ici, la maison familiale. Georges cultive des poiriers qui ne donnent rien, puisque les fruits tombent et pourrissent . Entêtante odeur. Georges est le fils de Pierre, un agrégé, devenue obèse et de Sabine, un femme entièrement peinte (joues, front, paupières), les cheveux rouges, les mains couvertes de bijoux, Sabine est alcoolique de surcroit. Elle monologue sur les infidélités de Pierre, de Louise…
Pierre a eu deux sœurs, ses ainées, l’une est morte (Eugénie) et l’autre (Marie), agonise, alors que débute le roman. Les deux sœurs se sont sacrifiées pour élever le petit Pierre au rang de lettré. Ce à quoi leur père paysan analphabète tenait par dessus tout. Exemplaire ascension. Mais Georges est revenu à la terre et a échoué.
Louise et Marie s’entendent bien. Et Marie confie à Louise une boîte émaillée, piquée de rouille qui contient, un hétéroclite trésor de boucles de souliers et de bagues à deux sous et des livres de compte. « vieille boîte sur le couvercle de laquelle (une) image de jeune femme alanguie et (d’un) petit chien frisé au nœud bleu se répétait, indéfiniment reproduite sur le couvercle de la même boîte en réduction que la jeune femme tenait dans sa main (en réalité c’est-à-dire de façon visible, deux fois seulement, la troisième boîte de berlingots étant déjà si petite que la jeune femme n’y est plus qu’un simple tache sur le vert de l’herbe, et le petit chien un point, mais l’idée de cette répétition sans fin et dont la perception échappant au sens, à la vue, précipitant l’esprit dans une sorte de vertigineuse angoisse » (P.130)
C’est le corps de Marie déjà momifié, allongée sur son lit d’agonisante, ce râle qui s’exhale de ce qui n’est déjà plus un corps qui la retient, qui est l’interrogation qui retient Louise. Qui est-elle ? Qui était-elle ? Une femme au service du développement de la propriété ? Au service de l’ascension de son frère ?
Sabine a été volé , floué, de son mariage, de ses bijoux, elle radote, monologue ivre…
Le lecteur ne sait pas. Ils se trouve en la présence d’un texte où se superposent, s’emboîtent, se répondent, les détails de la vie bourgeoise qui s’étiole, les temps historiques, – guerre, exode vu par la lorgnette – ; des traces. Des listes, le livre de comptes, et des photographies qui disent et répondent peut-être aux interrogations, mêmes si les personnes qui figurent sur les photos sont « fades, avec cet air un peu niais, agaçant même, dont on ne sait s’il tient au fait de poser devant l’objectif, à l’émotion, au style photographique de l’époque où à cette insupportable bonne conscience… » (P. 50)
La nature, elle, est au présent, au présent humide, peinte à l’aquarelle.
Louise entend les bruits de Pierre (ce corps montagne) et de Sabine (ce corps peint), au travers du mur de la salle-de-bain (des deux salles de bains adjacentes « les deux glaces, dans chacune des salles-de-bains étant fixées comme chacun des deux lavabos qu’elles surmontaient, et sans doute pour des raisons d’évacuations d’eaux et de plomberie, exactement dos à dos de part et d’autre de la cloison, de sorte qu’il lui semblait voir Sabine à la place de sa propre image virtuelle, toutes deux (Louise et Sabine) se faisant face. » (P.128). Sons parcellaires, paroles tronquées. (Louise les entends, ne sait réellement ce qu’ils font. Ce à quoi ils pensent, ce qu’ils rabâchent,) ; imaginations en miroir (on ne sait rien de Louise, si ce n’est ce double inversé de Sabine ? (elle sont les femmes rapportées à la lignée des hommes).
Louise les imagine (Pierre et Sabine) comme ils auraient pu être. « il lui semblait les voir (…) Louise pouvant les voir surgir tous deux, se matérialiser peu à peu à travers le bruit multiple de la pluie nocturne, les multiples rayures noires s’entrecroisant, se superposant, se biffant, se pourchassant, des vieux films anachroniques (…) dans un décors désuet et défunt lui aussi : quelque chose apparaissant vaguement sous le gribouillis (…) décors et personnages possédant en commun cet on ne sait quoi de vaguement fabuleux qui semble être le privilège de ses acteurs du temps du muet ou des mannequins de vitrines « (privés de ce vague, de cet imprévu, cet inachevé qui est la marque de l’humain. » (P.132- 133). Ce vague, que Sabine monologue ; Pierre l’a trompé , dès le jour de son mariage, elle l’a senti « et ça ça ne ment pas » (P. 140)., qui se superpose avec le corps de Louise qui trompe son fils, avec se jardinier qui trousse les bonnes… (« cette sorte de temps dans lequel sans doute, elle se mouvait) étant impossible à mesurer (…) était apparemment constitué par plusieurs cadrans superposés ou, si l’on préfère, concentriques (…) l’aiguille pointant donc dans le même instant sur plusieurs indications, ce qui, à bien réfléchir, est aussi vrai de n’importe quelle aiguille de n’importe quelle montre achetée le jour de la première communion – ou donnée, héritée, le boitier orné d’initiales guillochées et aux entrelacs si compliqués qu’indéchiffrables ou du moins si longues à reconnaître (c’est-à-dire à démêler, puis, cela fait, à identifier, à attribuer à celui ou celle des dix ou douze aïeux, grands-oncles ou vieilles cousines oubliées, à qui elle appartenu, ainsi qu’il en est des ses lourds monogrammes brodés sur les draps – en général dépareillés mais apparemment inusables – que l’on se transmet d’une génération à l’autre : signes représentant chacun l’alliance d’au moins deux familles (..) le mécanisme du temps et celui de la reproduction se déroulant donc tous deux sous les symboliques vestiges d’autres temps et d’autres copulations, si longue à reconnaître et à attribuer (…) énigme, faite d’une multitude de calques superposés, qui en transparence font apparaître simultanément l’innombrable présence de fantômes de personnes et d’actions défuntes. » (P.143- 144)
Chercher, désenfouir, du livre de compte on ne peut plus froid. « non pas tant dans l’espoir d’y découvrir quoi que ce soit, qu’animé, commandé par cette conscience têtue du prospecteur malchanceux qui continue jusqu’au bout à fouiller mètre par mètre la concession qui lui est échue, pensant que s’il finit par y trouver ce qu’il cherche il en sera alors délivré, et que s’il ne l’y trouve pas il sera délivré aussi, parce qu’il aura au moins acquis la certitude qu’il n’y a rien qui puisse être trouvé (…) elle pensa « Mais il n’y a rien je le sais » haussant les épaules (…) sans l’espoir d’y découvrir quoi que ce soit mais s’acharnant, s’obstinant, tournant l’une après l’autre avec la même fiévreuse avidité, la même incrédule stupeur que la première fois (et que rien, elle le sentait, ne pourrait jamais atténuer, quand bien même elle les relirait pour la millième fois, les regarderait jusqu’à les savoir par cœur) (P.151) et puis du carnet (de la phrase) tombe une photographie qui peut-être précisera.
Photographie plus ancienne très rapidement recouverte.
« et plus tard quand Louise se rappellera cette période (…) pouvant se voir avec ce recul que donne l’éloignement dans le temps, c’est à dire libérée de la sujétion du présent, se regardant agir avec cette sorte de condescendance un peu méprisante, un peu agacée, un peu envieuse aussi, que nous éprouvons à notre propre égard lorsque nous nous voyons après coup, comme nous regarderions agir un enfant, un mineur, ignorant ce que nous avons appris à la lumière de ce qui est arrivé ensuite, comme si de savoir le futur nous conférait une supériorité, alors que ce que nous avons gagné, c’est peut-être d’avoir un peu moins d’illusion, d’innocence, de sorte que cela n’a pas été un gain, mais une perte. » (P.90)
La phrase de Simon est comme issu du magma des mots, il faut accepter de s’y perdre. Le présent, semble confirmer, éclairer le passé, mais rien n’est sûr, seules adviennent, des suppositions, des rapprochements, de nouvelles interrogations. Dans la phrase, le lecteur se perd, il se demande, qui, quoi, avec qui… c’est le sens de l’histoire. Ce qui se passe au présent est indéchiffrable par celui qui le vit, qui le parle, qui l’écrit, qui le lit. Il faut attendre (le temps des générations) pour y choisir (plus que de trouver) et y lire (relire) un sens.Et le rabâchage finit par être cru. Et l’empilement, des dates, des menus faits, des photos jaunis, présent d’une image qui rejoint les mots, le flux infini de la phrase. Les participes présents comme les plans saccadés d’un film, fait de trous, de sombres et de clairs (P. 89)