Paparazzi

Paparazzi – huile sur toile  – 54 x 65 cm

Je voulais tout d’abord peindre l’image censurée de Bardot, image interdite en 1957 par le comité de censure, Bardot le cul sur la table empire face à Gabin. Mais je n’y suis pas parvenu. Il m’a fallu passé par le biais d’une affiche pour trouver un intérêt pictural autre que les fesses de Bardot Finalement, la foule de photographe remplacerait parfaitement l’image de la « femme fatale », pulpeuse devant laquelle ils grimaçaient, rictus d’idiot en rut, en meute, et l’image était manquante, non pas censurée, mais à inventer. Ce qui correspondait mieux à la position du peintre, dedans et dehors le carré de toile à imager. Peindre c’est regarder, c’est voir sans savoir.

En 1957, Bellmer publie au Terrain Vague, Petite anatomie de l’inconscient physique ou l’anatomie de l’image.

« L’écart entre ces deux titres constitue le champ d’investigation de ce texte. Il s’agit en effet pour Hans Bellmer de tenter de déterminer avec la plus grande honnêteté possible les mécanismes physiologiques et psychiques qui président en nous à la formation d’images. » (Jean-Lou Poitevin).

Première partie : les images du Moi.
« Les différents modes d’expression, pose, geste, acte, son, mot, graphisme, création d’objet…, résultent d’un même ensemble psycho-physiologique et obéissent tous à une même loi de naissance. L’expression élémentaire est un réflexe. A quel besoin, à quelle impulsion du corps obéît-il ? Exemple d’une rage de dent. Ma main se crispe, mes ongles s’enfoncent dans la peau. La douleur de la dent est donc dédoublée au dépend de la main, son expression en est la résultante visible.
Les modifications réflexe du corps, de la figure, seraient ainsi explicables comme tendance à désorienter, à dédoubler, une douleur, à créer un centre virtuel.
Notre vie expressive ? Une sorte de suite de transports délibérants qui mènent du malaise à son image. L’expression avec ce qu’elle comporte de plaisir est une douleur déplacée, elle est une délivrance.
Les centres virtuels d’excitation sont les facteurs essentiels de l’expression. Perceptions intérieures (consciente ou inconsciente) de notre organisme et migrations de son centre d’excitation prédominante.
Exemple d’une jeune fille qui rêve, qui joue avec un grain de sable sur la table, rêveries de récompense, de promesse d’ordre affectif et sexuel. Il s’agit de nier la cause du conflit, d’effacer l’existence du sexe et de sa zone, de l’ “amputer”. L’image en reste néanmoins disponible, prête à se découvrir une signification, une place vacante, à se revêtir ainsi d’une réalité permise.
L’épaule gauche haussée, le bras étiré… l’instinctive caresse de son menton, entre l’épaule et la poitrine, par le geste intuitif du menton, l’analogie sexe-épaule est établie. Les deux images entremêlent leurs contenus en se superposant. Le sexe à l’aisselle, la jambe naturellement au bras, le pied à la main, les doigts de pied aux doigts. Il en résulte une bizarre fusion du “réel” et du “virtuel”, du “permis” et du “défendu”. Amalgame ambigus, légers décalages des deux contenus voulus convergents mais opposés. Suivent des exemples de cas. Tiré des transferts de sensations dans l’hystérie de l’hypnose – Lombroso. Une jeune fille perd la vision en même temps qu’elle acquiert la faculté de voir par l’extrémité du nez et du lobe de l’oreille. Plus tard l’odorat se déplaça au talon. Une autre jeune fille, somnambule, voyait par la main et lisait dans l’obscurité.
Conflits conduisant au refoulement du sexe, à sa projection sur l’œil, l’oreille et le nez. Puis transfert second celui de l’œil sur la main. Des faits d’ordre intime ont été vus, entendus, sentis : “ Je ne veux rien voir, je ne veux plus voir. ”
L’image de la dent se déplace sur la main, l’image du sexe sur l’aisselle, celle de la jambe sur le bras, celle du nez sur le talon. Main et dent, aisselle et sexe, talon et nez, bref : excitation virtuelle et excitation réelle se superposent. Réciprocité ? Axe de réversibilité entre les foyers réels et virtuels. (l’axe passerait, horizontal à la hauteur du nombril).  Le goût de la réversibilité subsiste dans la langue. Jeux d’enfants, anagrammes, palindromes, expériences de psycho-graphie d’écriture en miroir. Le simple réflexe expressif défini comme dédoublement d’un foyer d’excitation, porte en soi le germe d’un dédoublement de l’individu entier – et la scission du Moi.
L’opposition est nécessaire afin que les choses soient et que se forme une réalité troisième.
Un homme assis rêve que sa femme lui met une assiette entre les mains. Il se réveille, il se lève et remarque que l’empreinte qu’il a laissé présente l’aspect de l’assiette. L’homme tenant l’assiette tient la femme-assiette-siège-fauteuil qui serait prête à son tour à ce que l’homme s’y associe.
L’image a été vécue par son propre schéma corporel. Étrange contrainte d’un mouvement du dedans au dehors, dans ce sens que l’intérieur de l’organisme tend à prendre la place de l’extérieur.
Suivent des exemples de permutations de phrases et des lettres d’amour. Le désir prend son point de départ, en ce qui concerne l’intensité des images, non dans un ensemble perception mais dans le détail qui n’est réel que si le désir ne le prend pas fatalement pour ce qu’il est. L’objet identique à lui-même reste sans réalité.
Troisième partie : le monde extérieur
L’ « image »  serait la synthèse de deux images actualisées simultanément. Une image-souvenir (l’excitation subjective va au devant de la perception et la prédétermine) ; une cause extérieure qui impose sa perception. Les impressions proposées ou imposées par le monde extérieur sont multiples, sinon chaotiques. Elles heurtent la disposition subjective qui, ainsi provoquée déterminera alors le choix précis de l’image- souvenir (…) et qui par le même geste déterminera le choix de l’image perception extérieure et congruente. « L’image » comme synthèse de deux images actualisées simultanément. Le degré de ressemblance, de dissemblance ou d’antagonisme entre ces deux images constitue probablement le degré d’intensité, de réalité et la valeur de « choc » de l’image résultante, c’est-à-dire de l’image « perception-représentation. »
Le travail de l’intuition (“non-moi” individuel) consisterait donc en ceci : dégager les deux composantes inconscientes de l’image vue et incorporée à la mémoire, démontrer leur identité irrationnelle et transporter ces deux composantes – comme représentation ou comme “perception trompeuse” à la surface de la conscience. – Ce travail fourni par l’intuition est celui de l’IMAGINATION. Dorénavant, il ne peut plus y avoir confusion à propos du processus de l’image. – un “génie” ardemment appliqué derrière le “moi” semble ajouter beaucoup du sien, afin que “je” perçoive et imagine. Un génie irrespectueux sans doute, pour que la logique d’identité, la séparation du corps d’avec l’esprit ou les balivernes du “bien” et du ”mal” sont tout au plus matière à plaisanteries et qui ne chante de tout cœur que la gloire de l’improbable, de l’erreur et du hasard. Tout comme si l’illogisme était un réconfort, tout comme si le rire était permis à la pensée, comme si l’erreur était la route, l’amour le monde acceptable et le hasard une preuve d’éternité.
La durée d’une étincelle, l’individuel et le non-individuel sont devenus interchangeables et la terreur et la limitation mortelle du moi dans le temps et dans l’espace paraît être annulée. Le néant a cessé d’être ; quand tout ce que l’homme n’est pas s’ajoute à l’homme, c’est alors qu’il semble être lui-même. Il semble exister, avec ses données les plus singulièrement individuelles, et indépendamment de soi-même dans l’univers.
« L’image »  naît dans des points de conflit ou de transition aigus, c’est-à-dire dans un climat particulier, à la température et à la hauteur de pression sur-élevée, et qui est situé d’évidence sous la constellation du hasard.
Ce qui n’est pas confirmé par le hasard n’a aucune validité.
C’est le hasard qui confirme le réel (et non l’inconscient qui n’est qu’une cave de provision du conscient. (…) C’est-à-dire mise à l’abri de spéculations religieuses, para-religieuses, mystiques (…) mais pas de l’expérience. » (Editions Allia ) 2016)

Belmer, joint à son texte des magnifiques dessins c’est lui même (moi) qui (dé)(re)compose (toi). Permutation des membres, des organes. Bras-jambe, pied-oeil, cul-visage, corps tout entier sexe en érection. Buste aux mille seins… . Poupée rêvée, surréaliste..

Les images appartiennent à la mémoire collective, l’image est la superposition d’un “non moi” et d’un subjectif invisible (inconscient). Les superpositions se font dans le parcours de l’exposition..

Les images d’archives ne sont pas un matériau brut. Elles ont été composées, utilisées, retouchées, maquillées parfois pour tenir lieu de discours ou d’illustration pour un discours, et il est difficile de les y en faire sortir. Les photos de familles prennent la pose. Idylliques réunions, portraits glorieux. Les paparazzi volent les images qu’on veut bien leurs donner : contrats.
Intrusion : (plus de vie privé), les paparazzi sont aujourd’hui chaque individu et son téléphone portable (relié, diffusée, plus de négociation, plus d’intermédiaire, plus de médiateur). L’image est libérée, elle n’est plus dirigée pour la propagande de tel ou tel. La communication construite, fabriquées, peut être mise à mal à chaque instant.. L’image est libre. Le droit à la vie privée, puis à l’intime offre quelques consolation d’autoritarisme sans grands effet. La mot à la mode est « transparence ». Comme si ajouter des images aux images offrait de la limpidité, de la clarté. Flot d’images charriée, boue opaque.

Sélectionner des images, les organiser, les mettre en page, les associer est une fiction (et cette fiction est-elle débarrassée du narrateur officiel (politique, communicant), création libre d’un sujet fictionnel (je est toujours un autre).

La fin des années cinquante sont amusantes du point de vue de la dénonciation du pouvoir des images aliénées et de leur danger. Une chaîne de télévision, des illustrées quel flot ! Le désir fait présence dans la rareté, l’interdit dévoilé.

La publicité montre et va montrer de plus en plus des corps ronds et plus ou moins dénudées. La pornographie va s’installer progressivement comme objet de consommation. Les romans sexuellement explicites, sans tabous, s’accroupissent désormais aux étalages.

Klossovski. La révocation de l’Edit de Nantes. 1959, Octave théologien protestant, collectionneur du peintre Tonnerre (fictif contemporain de Courbet dont les peintures n’ont jamais été vues et qu’Octave décrit en mots) : « Dans les motifs que représentent les quelques tableaux que j’ai pu sauver, on reconnaît une propension pour des scènes dont la violence est due à un savant dévoilement – non au dévoilé, non à la nudité, mais à l’instant en soi le moins pictural : l’œil aime à se reposer sur un motif sans histoire, et notre artiste au contraire semble contrarier ce repos du regard en suggérant ce  que la peinture dérobe. (…) l’émotion recherchée était celle de la vie se donnant en spectacle à elle-même : de la vie demeurant en suspens… »

L’image qui va faire le tour du monde, via les magazines people. Jane Mansfield descend de l’avion à Paris, attroupement des photographes, visiblement très excités par la créature qu’ils vont capturer pour l’imprimer sur papier couché. Image reproductible à gros tirage pour les alcôves, pour la solitude de l’homme, qui se secouera de se sentir élu par la jolie blonde (qui fait face à la foule d’objectifs en rut.)

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