solitude

Mains d’écrivains – Sollers – huile sur toile – 20 x 20 cm

Interview de Philippe SOLLERS par Pierre DUMAYET à l’occasion de la publication de son premier roman « Une curieuse solitude ». Proust l’a beaucoup influencé. Il résume la morale de son histoire. le 12 Novembre 1958.
Il a l’air timide Sollers, et juvénile même s’il n’en est rien (il trouvera rapidement plus d’aisance). il vient de raconter son aventure avec Concha l’espagnole (il aime des femmes plus âgés que lui). Il semble chercher de sa main gauche une chevalière invisible sur sa main droite. Il parle de son premier roman « une curieuse Solitude ». Il a 22 ans et déjà on lui promet un avenir brillant.
« Il faut savoir se jouer, c’est-à-dire il faut user de soi comme d’un instrument, agir sur soi d’une certaine manière et se jouer c’est-à-dire déjouer en nous tout ce qui tendrait au fond à nous rendre malheureux… si vous voulez. (les derniers mots prononcés faiblement, sourire)
– C’est la morale..
– Se jouer… dans les deux sens.
– Merci.

Mains d’écrivains – Sollers – fusain sur toile – 20 x 20 cm

Du désir. Qu’est-ce qu’il y a dans la tête d’un jeune homme qui le fait courir (la rue, les salles de cinéma. Et le cinéma montre la rue, on quitte les décors de carton plâtre.)
« Ainsi, les objets les plus divers, les êtres les plus dissemblables me semblaient tous enveloppés de cette carapace d’absence où j’aurais dû reconnaître celle qui me séparaient d’eux. Avec une obstination d’insecte, je secrétais je filais de l’obscur. Et certes, une des constatations les plus pénibles de la vie est de s’apercevoir que les autres existent en dehors de cette affabulation dont on les avaient parés. Ils se moquent bien de nos pensées, de nos imaginations, de nos calculs. Déçu et sans doute pour ne pas avoir tout à fait tort on écrit des livres. »
Sollers n’aura plus jamais tord.
« Les premiers temps, je préparai mes sorties avec la précision d’un explorateur ou d’un savant…»
Une curieuse solitude. Seuil. P. 87.
Il est imprimé sur le bandeau gris qui ceint le livre, cette phrase de François Mauriac : « Phillipe Sollers, «  J’aurai été le premier à écrire ce nom. »
Et sur l’encart, impression noire sur papier blanc (jaunit que j’ai sous les yeux) : «  En novembre 1957, un retentissant article de François Mauriac, dans l’Express attirait l’attention sur Phillippe Sollers qui venait de publier Le Défi, un récit de 35 pages, dans Ecrire N°3 », recueil de premières œuvres publiées sous la direction de Jean Cayrol. Peu après, Phillipe Sollers obtenait – à 21 ans – un prix Fénéon de Littérature.
« Sous la lumière du Sud-Ouest, un jeune bourgeois découvre l’amour avec une femme de trente ans. Et cette aventure prend une telle importance dans sa vie, que Concha – une espagnole – finit par représenter toute la merveille de l’adolescence. Il part pour Paris où il découvre une liberté, et aussi une solitude, plus grandes. Rapidement. Il se débarrasse de l’ennui des habitudes. Pourtant il reverra Concha et en l’aimant, il fera le point de cette adolescence, à la recherche du bonheur. »
I vol. 176 P. : 500 fr. (510 t.l.i).
« Tout cela à vrai dire ne m’intéressait guère. On n’explique pas les individus par les évènements mais par ce qui en eux leur résiste. » Sollers à daté son roman de Juillet-Décembre 1957. Il a été exempté du service militaire pour terrain schizoïde aigüe (et l’intervention de Malraux).
Cette chambre dans Paris où le narrateur souffre de l’absence de Concha, sa maitresse espagnole, est celle où je lis ce livre dans le 12ème arrondissement, transe ans plus tard.
un instant qui revient instantanément à la re-lecture de ces lignes.
« J’allais me perdre dans quelque Monoprix. Car les comptoirs brillants, multicolores, croulant sous les séries bon marché ; les vendeuses en uniforme qui sont toujours plus belles à la parfumerie (j’arrivai à une collection de flacons), ces femmes, ces fards, ces parfums, la musique , c’était la liberté, le désir, la caverne des trésors. Je crois que je passais des heures dans la lumière au néon à marcher d’un comptoir à l’autre pour qu’on ne me remarque pas. Etre inconnu, mais aussi : être regerdé pour la première fois avec cette indifférence qui, lorsqu’elle s’entrouvre sur une nuance d’intérêt, n’en paraît que plus intense, plus précieuse.
Ces distractions ne durèrent pas longtemps. L’habitude (ou la condamnation) me fut bientôt infligée d’errer sans fin dans les rues, les cafés ne pouvant me fixer nulle part, ni m’attacher, ni m’arrêter dans cette course. (…) je marchais interminablement (…) Bientôt je devins attentif à cette comédie qui se joue chaque soir dans les rues à Paris, à ce monde retranché du monde, à ces milles aventures que noue et dénoue le hasard, à ces regards qui sont, dans le même moment, permission et refus, aux imaginations qui nous poussent à des poursuites dont on sait par avance, l’inutilité, le ridicule. Toute rue m’était inévitable pourvu qu’elle renfermât des passantes désirables. Mais aujourd’hui je croirais plutôt que le désir n’est qu’une excuse que nous accrochons, par faute d’en connaître d’autre, à notre besoin d’inconnu. Car, une fois ce désir satisfait, et notre corps, nous nous apercevons que, dans presque tous les cas (mais justement n’étais-je pas à la recherche de l’exception ?) rien n’est résolu, bien au contraire, et que c’est notre pensée et sa seule curiosité qui nous jettent au dehors. (…)
«  et le plaisir que je prenais à être abordé par les putains, jouant à croire qu’elles eussent, pour me parler, de mystérieux motifs, n’était que l’occasion de décider : “ Au moins puisque nous nous accommodons mal des belles âmes, saoûlons-nous des pires !” Mais elle me désespéraient de jamais trouver de la grandeur dans ce qu’on appelle le mal. S’il y a une vérité dont nous puissions être sûrs ? C’est que la bêtise est la même partout. » (…)
« Je trainais surtout du coté de Saint-Lazare – Merveille que le Printemps aux moments d’affluence. Les femmes se mêlent, se confondent, débordent, par grappes entières, dans la rue (impossible de suivre bien longtemps la même silhouette) ; (…) Je marchais rien ne me semblait réel : pour voir quelques chose, il faut que j’ai commencé de m’occuper de quelqu’un. »
Une image de femme fardée, parfumée, une comédie qui se joue chaque soir, le hasard. Des regards, la curiosité… et l’imagination, le désir qui se fracasse sur les corps, le langage. C’est la leçon de Proust. « une curieuse solitude : un roman Proustien, un roman de jeune homme.

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